La Tunisie en 2017 : L’album politique et le «capharnaüm» économique!

Alors que 2017 tire à sa fin, tournant la page de la 7e année de transition démocratique, quel bilan politique peut-on faire et quelle valeur ajoutée peut-on attribuer à 2017?
Un bilan rétrospectif s’impose, et pas pour rien! Un nombre grandissant de citoyens tunisiens se demandent si la gouvernance de la transition démocratique n’est pas en train d’éroder leur pouvoir d’achat, de les appauvrir et de limiter drastiquement la qualité de leurs soins de santé et autres acquis sociaux. Ces inquiétudes interpellent la gouvernance au sommet de l’État, mettent en cause la maturité des partis politiques et la probité de nombreuses élites.

Gouvernance minée par les tensions du politique!
 Sans conteste, l’année 2017 a été gouvernée sous l’emblème de «c’est le politique qui compte; l’économique c’est secondaire». Quatre personnalités ont marqué la scène politique. D’abord un jeune Chef de gouvernement (42 ans) non élu; et qui a dirigé lucidement un gouvernement de coalition atypique mettant main dans la main un parti religieux et un parti libéral. Deux partis que rien ne les rapproche du point de vue idéologique et politique. Vient ensuite l’emprise d’un président élu démocratique et âgé (91 ans), et incarnant une gouvernance top-down, «présidentialiste» et peu encline à initier des grandes réformes. Le 3e acteur n’est nul autre que Gannouchi (76 ans), le fondateur du parti religieux Ennahda. Omniprésent dans les différentes et chambres et antichambres du pouvoir depuis 2011, Ghannouchi, a eu le dessus sur de nombreuses décisions et vétos stratégiques tuant dans l’œuf plusieurs réformes stratégiques attendues. Chedly Ayari (83 ans), Gouverneur de la Banque centrale, arrive comme invité-surprise de l’année 2017, mettant la main sur les «cordons de la bourse» et poussant à son extrême la dévaluation du dinar, de tout ce qui est monétaire et bancaire de la transition démocratique. Il s’est fait remarquer par sa soumission aux consignes politiques et surtout celles issues du FMI. Ayari a probablement été le pire gouvernerur que la BCT ait eu depuis sa création! Sous sa gouverne l’eaprgne est devenu « une économie à perte », tellement l’inflation a explosé, les taux de rémunération de l’épargne érodés.
Voilà pour le système et ses acteurs. Regardons, maintenant les hauts et les bas des décisions et manœuvres politiques en Tunisie, seul pays rescapé du «Printemps arabe».

Coalition. L’année 2017 a été une année très politique et particulièrement atypique. Le gouvernement de coalition a forcé le passage à plusieurs lois et réglementations qui ne se seraient pas passées autrement. On peut citer la réforme dépénalisant le «cannabis» pour les jeunes, l’amnistie des fonctionnaires directement impliqués dans les trafics et les corruptions de l’ère de Ben Ali, ou encore le vote en faveur de plusieurs prêts internationaux très couteux en frais d’intérêts. Aussi, cette coalition a fermé les yeux sur la prolifération du secteur informel, la pléthore des fonctionnaires et la protection de nombreux rentiers et «mafieux» de l’ère Ben Ali.

Déception. En 2007, cette coalition, un peu «contre-nature», a fini par dévoiler ses pervers au citoyen lambda qui se rend compte que les partis Nida et Ennahda n’arriveront pas à changer réellement la donne économique; tellement ils sont mus par les agendas politiques et la volonté de se maintenir au pouvoir, à n’importe quel prix. Et cela a érodé la confiance du citoyen, qui a vu eu la preuve que pour cette coalition, c’est le politique qui compte et tant pis pour l’économique! Et c’est en autre pour ces raisons que l’économique a été laissé pour compte : avec un taux de chômage atteignant les 35% chez les diplômés, l’inflation de l’alimentaire frôlant les 20%; une dette qui explose et un niveau d’investissement qui se replie sans cesse, comme jamais auparavant.
L’année 2017 a aussi été marquée par la plus grande dépravation des mœurs politiques chez les élus politiques. Plusieurs élus ont mouillé dans des affaires «immorales», d’autres ont flirté avec divers changements de partis, agissant comme des «électrons libres» se promenant d’un bord à l’autre du spectre politique (de l’extrême droite à l’extrême gauche), sans vergogne et sans scrupule. Et bien d’autres élus ont fait «l’école buissonnière», boudant les travaux parlementaires et privilégiant leurs propres business privés.

ForcloreDans ces jeux de petite politique, le branding de la transition démocratique en Tunisie a payé un lourd tribut. L’hypertension politique de 2017 a fait aussi des dégâts au sein des instances démocratiques instituées et où les défections ont déraillé les calendriers des activités électives au sein des Commissions créées justement pour fluidifier la transition démocratique. Les multiples tractations et rounds d’élection tenus au sein de l’Assemblée parlementaire pour élire et nommer le Président de la Commission responsable des prochaines élections municipales, ont démontré jusqu’où peut aller l’immaturité politique des élus et partis au pouvoir.
Plusieurs images et coups inattendus ont fait les manchettes. C’est le cas de la cravate de «déguisement politique» de Ghannouchi, ou encore le maillot sportif de l’Espérance sportive de Tunisie arboré devant les caméras par le président Essebsi… ou encore les images intrusives de l’Ambassadeur de France en Tunisie, déambulant partout et allant jusqu’à se donner à la «danse du ventre», pour séduire l’opinion publique tunisienne!

Une année de capharnaüm pour l’économique!
 Statu quo. Mécanisme créé de façon extraconstitutionnelle pour mieux «coordonner la transition démocratique», la Feuille de route de Carthage (FRC) s’est transformée en 2017, en piège mortel pour les principales réformes économiques, fiscales et structurelles en Tunisie. La FRC s’est totalement métamorphosée, pour cannibaliser les réformes et les efforts de changements tant attendus par les citoyens. De bouée à boulet, le mécanisme de la FRC a montré toutes ses limites, pour devenir la guillotine des réformes économiques.
L’UGTT, membre de la FRC, a multiplié les «lignes rouges» stoppant ipso facto toutes les réformes visant la flexibilité du travail et la vérité des salaires. L’Utica a fait valoir son véto contre toute politique visant l’élimination des «rentes» de situation et certaines taxes et impôts nouveaux.
Plus que ses précédents, l’année 2017 a montré l’ampleur du dysfonctionnement et du fractionnement du paysage idéologique et partisan au sommet de L’État. Trop de joueurs et trop d’égos qui s’affrontaient à partir de leur forteresse respective, envoyant une image peu rassurante et peu attirante pour les investisseurs nationaux et étrangers.
Cela a favorisé le statu quo en matière des réformes à mener. La même situation a aussi dévoilé une certaine irresponsabilité déshonorante pour le système politique post-2011.

Défiance. En 2017, plusieurs réactions et défiances se sont exprimées pour affronter cette gouvernance allergique aux réformes et incapable d’améliorer le bien-être du citoyen lambda. Au Kamour, sur le site de la principale plateforme de canalisation de pétrole et de gaz dans le Sud profond; tout comme dans d’autres régions de l’intérieur, les citoyens ont compris que la classe politique de Tunis est «autiste»; étant trop soucieuse de ses intérêts politiques et matériels de court terme, ne réagit qu’au rapport de force et à la «prise en otage» des ressources stratégiques pour la croissance économique.
Le gouvernement Chahed n’a pas toujours joué franc jeu; il a fait démissionner un ministre populaire pour faire plaisir aux alliances (UGTT, en tête), et a, en même temps, renforcé les pouvoirs d’un ministre de Finances, pourtant condamné par la justice pour infraction dans le transfert illégal de devises.
Le grand échec de l’année 2017 a été relatif aux péripéties des élections municipales qui traînent en longueur et qui occasionnent les incertitudes lourdes de conséquences pour l’économie et les instabilités éventuelles si les mêmes grands partis au pouvoir se trouvent en situation majoritaire dans la gouvernance des régions et du local.
Encore plus désolant! Plusieurs ministres au gouvernement se sont désolidarisés de leurs partis et de leurs valeurs, pour rester au gouvernement alors que leur parti a décidé de se retirer de la coalition gouvernementale. Les ministres et l’establishment politique ne semblent pas avoir tout compris sur la légitimité et la loyauté en politique, d’abord avant tout face aux électeurs et ultimes donneurs d’ordres aux hommes et femmes politiques.

Dinar. L’année 2017 a fait perdre au dinar presque le quart de sa valeur face aux devises étrangères. Il faut dire aussi qu’en 2017, la Tunisie a vu passer 3 différents ministres responsables de l’Économie et de Finances. Une ministre a été limogée pour une communication prônant explicitation la dévaluation du dinar. Son successeur a démissionné pour une affaire de «trafic de devises», et ayant été condamné par contumace, sans être inquiété, alors qu’il occupait ses fonctions en charge de l’économie et des Finances.
La coalition au pouvoir en 2017 a fait appel au FMI pour procurer plus de prêts et de conseils pour inverser la vapeur et redonner espoir. Le FMI a fait au moins cinq missions en Tunisie, a imposé l’accès hebdomadaire à une quarantaine d’indicateurs économiques et financiers…et tout indique qu’il va être encore au chevet d’une transition démocratique a-économique et sans réelles expertises dans les dossiers économiques et financiers.

AsthénieLa situation économique est plutôt asthénique et inquiétante sur plusieurs économiques. L’inflation frôle les 30 % pour de nombreux produits alimentaires de base, le chômage ne désarme pas, la dette se creuse et la corruption avance (au lieu de reculer). L’évasion fiscale devient une pratique courante dans de larges pans de l’activité économique mis sous le joug du secteur informel et des contrebandiers. L’émigration irrégulière des jeunes s’accentue. En 2017, plus de 15000 jeunes ont embarqué dans des bateaux de fortune pour rejoindre les rivages italiens, à la recherche d’un avenir meilleur. Seule note positive; la diaspora tunisienne résidant à l’étranger a accentué ses transferts en devises (remittance). Des transferts en devise qui frôle désormais les 3 milliards de $US et dont le montant dépasse désormais les recettes du secteur touristique et les investissements directs étrangers.
L’année 2018 doit être gouvernée sous l’emblème de l’«économique avant tout»! Et cela ne peut se faire sans un véritable recentrage des choix publics sur les enjeux économiques. Cela requiert aussi une gestion axée sur les résultats économiques, avec tous les prérequis en compétence, en impartialité et en leadership.

 Asef Ben Ammar, Ph.D
nalyste en économie politique

 

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