Les relations entre la Tunisie et les Etats-Unis sont historiques et remontent à plus de deux siècles. Après la guerre d’indépendance américaine et le rôle éminent de Georges Washington, la Tunisie fut l’un des premiers pays à reconnaître la nouvelle nation américaine de l’époque. Le Bey de Tunis Hammouda Pacha (husseinite) avait accepté la nomination d’un représentant consulaire américain à Tunis : Joseph Donaldson Jr. Un traité de paix et d’amitié fut conclu définitivement le 26 mars 1799. Les États-Unis ouvrent un consulat, leur première représentation officielle fut établie le 20 janvier 1800 ; il est alors situé sur la place de la Bourse, aux portes de la médina. Avec la récente visite de Béji Caïd Essebsi aux Etats-Unis, et la signature d’une sorte de pacte d’alliance stratégique qui se répercute spécialement sur le volet sécuritaire, on s’interroge dès lors sur les dessous de cet accord et quelles retombées pourrait-il avoir sur la Tunisie ?
Histoire de la coopération militaire américaine avec la Tunisie
A peine deux mois après l’indépendance tunisienne, les USA reconnaissent officiellement le nouvel Etat tunisien indépendant le 17 mai 1956 et les relations diplomatiques sont établies le 6 juin 1956. Bourguiba voulait faire un contrepoids à la France et entrevoir l’évacuation définitive militaire française, obérée surtout par l’affaire de Bizerte le 19 juillet 1961. La coopération militaire américaine avait commencé à occuper une place de choix et l’aide annuelle fournie par les USA à la Tunisie était continue, au point d’amener la Tunisie à changer la formation des officiers de l’armée tunisienne des écoles françaises vers les écoles américaines au début des années 70.
Dans un document rédigé le 19 avril 1963, la diplomatie américaine avait résumé dans un mémorandum les grandes lignes de la stratégie américaine envers la Tunisie :
– Préservation d’une Tunisie indépendante, modérée, pro-occidentale et plus démocratique
– Développement de relations amicales entre la Tunisie et ses voisins nord-africains
– Restauration de la relation privilégiée entre la France et la Tunisie
– Création de relations économiques fortes entre les États du Maghreb et entre ces derniers et l’Europe occidentale, développement économique et social suffisant de la région.
Si l’administration américaine accepte un appui supplémentaire en matière de formation des troupes et de fourniture d’équipements, elle décline cependant toute idée d’alliance militaire stratégique. Et voilà que la visite actuelle de Béji Caïd Essbsi opère un revirement stratégique de taille, voire historique des USA vis-à-vis de la Tunisie
Alliance stratégique tuniso-américaine en dehors de l’OTAN
Le contexte de cette visite s’inscrit précisément avant la Tunisie du sommet des G7 qui sera organisé début juin en Allemagne. Point de doute que la question du terrorisme et la guerre qui déchire aujourd’hui l’Irak, le Yémen, la Syrie et particulièrement la Libye seront au cœur de ces pourparlers. La Tunisie occupe certainement une place de choix à la fois pour sa réussite dans sa transition démocratique mais et surtout les menaces du spectre terroriste qui est à ses portes à travers la Libye.
Montrer l’exemple du passage d’un Etat autoritaire à un Etat laïque dans un monde arabe embourbé par les guerres civiles et les régimes monarchiques et militaires, tel est la place de choix qu’occupe la Tunisie sur la scène internationale. Et c’est à ce titre que les USA plus que n’importe quel autre pays voulaient donner un signe fort de son encouragement à ce processus et le préserver car il peut devenir un modèle dans le monde arabe. Car dans la conception américaine et occidentale il vaudrait mieux avoir à faire à une démocratie qu’à une dictature ; les USA seront aussi conformes à ses slogans et ses encouragements aux processus démocratiques ; c’est du moins la conformité du discours officiel qui se traduit dans la pratique par l’acceptation de la Tunisie dans le cercle intime de cette grande puissance.
Les Américains ont vu aussi de bon œil la culmination du processus électoral tunisien qui a fait naître un gouvernement de coalition dont Ennahdha, parti à tendance islamique y participer pleinement. Après cette expérience unique et la formation d’un gouvernement et d’un président élu, les Américains ont vu aussi que l’Islam politique peut coexister dans le monde arabo-musulman et accepter le jeu démocratique. Toutes les autres expériences dans le monde arabe ont échoué
Alliance sécuritaire et militaire avant tout
La coopération militaire américaine avec la Tunisie remonte au milieu des années soixante, une aide substantielle était offerte à la Tunisie mais qui n’est jamais parvenue à une alliance stratégique. Mais que signifie cette alliance ?
A l’exemple du Maroc, du Bahreïn, de l’Egypte et de l’Arabie Saoudite, cette alliance stratégico-militaire a pour but de soutenir, certes, militairement la Tunisie mais aussi c’est une façon d’engager une alliance géopolitique dans la région. Comme le disait Churchill « la Tunisie occupe le cœur de la Méditerranée ; c’est une clé ». Avec le terrorisme qui a sévi spectaculairement depuis, dans la région sahélo-saharienne et surtout en Libye, avec l’accroissement vertigineux des émigrants clandestins, les Etats-Unis peinent à combattre ces deux fléaux qui nuisent au plus haut point à la rive nord de la Méditerranée ses alliés de l’OTAN. Aider les pays voisins et qui engagent réellement une véritable lutte contre ces deux fléaux ne se fait désormais plus par des interventions militaires directes ; le fiasco de l’Afghanistan et de l’Irak ont démontré qu’il vaudrait mieux faire ces guerres par procuration.
Pour l’OTAN, l’Europe et les Etats-Unis, le cas de la Libye est plus que préoccupant, et la Tunisie pourrait être appelé à jouer un rôle de premier plan surtout qu’elle est restée jusqu’à présent le seul refuge pour les citoyens libyens qui fuient la guerre. Elle pourrait, par ailleurs, jouer un rôle pionnier dans la lutte contre l’émigration clandestine, déjà qu’elle a stoppé d’une façon remarquable ces flux de son territoire et que 90% des embarcations vers l’Italie se font des côtes libyennes. Bien conscient de ce rôle, Béji Caïd Essbsi a déclaré dans ce sens : « La Tunisie est, à son tour, entièrement disposée à soutenir les Etats-Unis », il a par ailleurs souhaité que cette visite soit de bon augure pour la Tunisie et permette d’ouvrir de nouveaux horizons pour la coopération entre la Tunisie et les Etats- Unis ainsi qu’entre la Tunisie et tous les pays de la région, notamment la Libye voisine. Le dossier libyen est plus que brûlant Essebsi essaye de jouer les bons offices entre les deux parties libyennes discordantes. Dernièrement il avait reçu successivement les dirigeants des deux principales parties libyennes en affrontement qui ont toutes deux sollicité sa médiation pour l’aboutissement d’un accord de stabilisation. La Tunisie qui a toujours recommandé un dialogue inter-libyen sans interférence étrangère, pourrait le cas échéant être crédible et efficace car elle a toujours été opposée à toute intervention militaire extérieure.
Si le rôle de la Tunisie paraît déterminant dans son processus politique engagé, et son rôle régional aussi dans le désamorçage du conflit surtout libyen, mais qu’attend la Tunisie des Etats-Unis sur le plan militaire ?
Quelles sont les aides militaires que peuvent procurer les USA à la Tunisie ?
Un accord stratégique, le statut de pays allié majeur non membre de l’Otan, avec tous les avantages qu’il offre, est une première pour la Tunisie car ce statut lui offre :
– Une aide militaire en matériel beaucoup plus importante en valeur et en qualité ;
– L’accès mais limité à une industrie militaire sur son sol pour des équipements américains ;
– Une formation et une aide substantielle du point de vue logistique et l’accès facile aux nouvelles technologies (surveillance par satellites, l’usage de drônes, surveillance des réseaux téléphoniques internationaux et une collaboration avec les services du CIA etc…
C’est ce statut qui permet, donc, à la Tunisie de moderniser l’équipement de son armée et d’engager ses officiers dans des formations militaires de haut niveau. N’oublions pas que la Tunisie avait commandé 12 hélicoptères des USA et il faut s’attendre à ce que la flotte de l’armée de l’air soit aussi renouvelée, car avec des F5, notre armée affronte des défis majeurs, et l’armée doit jouer un rôle de premier plan.
A titre d’exemple, l’aide annuelle fournie à l’Egypte s’élève à plus de 1.6 milliard de dolalrs, pour une armée de plus de 420.000 hommes. L’armée tunisienne, pour sa part, classée 55e mondiale, est des plus républicaines car elle ne s’implique quasiment jamais dans la vie politique. Le Congrès américain a donné son aval pour une aide militaire de 160 millions de dollars pour l’année 2016. Il est vrai que c’est peu eu égard des grands défis qui attendent la Tunisie mais c’est tout de même un grand bond en avant et ce chiffre sera appelé à augmenter sans oublier les besoins spécifiques qui incombent à une guerre contre le terrorisme et surtout la formation des troupes d’élites qui seront appelées à des missions spéciales.
C’est un tournant historique, certes, mais qui ne doit aucunement tourner à l’euphorie. La situation de la Tunisie dans la géopolitique régionale est plus que délicate, le voisinage libyen ainsi que les relations historiques avec l’Algérie appellent aussi à la retenue quant à une collaboration, certes, importante mais qui porte des limites.
Ouvertures énigmatiques
A ce titre, est-ce que cette alliance prévoit l’usage des terres tunisiennes, de son espace maritime et terrestre ou pas ? Les USA cherchent-ils à installer des bases militaires en Tunisie ne serait-ce que pour ses drones qui sont cantonnés au Niger mais qui veulent aussi s’approcher du Sahel et du grand désert ?
Ces questions auront des réponses selon les actes conclus et l’évolution de la situation au Mali et en Libye. Dès lors, ce tournant historique, il faut le situer dans le cadre des grands défis sécuritaires de la région et l’absence de solutions extérieures.