Une mission du Fonds monétaire international (FMI) vient d’achever sa visite de deux semaines en Tunisie. Le FMI a conclu au terme de cette visite de surveillance et de suivi que « le principal défi pour les mois à venir sera de rattraper les retards significatifs accusés dans l’effort d’éliminer les obstacles à la croissance et dans la maîtrise des déficits budgétaires et extérieurs importants ».
Le défi est manifeste et les engagements du pays, notamment sur les grandes réformes, sont aussi clairs. La carte maîtresse de l’achèvement de la deuxième revue du programme d’appui financier du FMI, est la mise en œuvre par les autorités tunisiennes de certaines mesures précises de politiques économiques susceptibles de garantir l’approbation du Conseil d’administration de l’institution de Breton Woods et, par ricochet, le décaissement d’un montant de l’ordre de 320 millions de dollars au profit du Trésor tunisien.
Néanmoins, la question qui se pose toujours dans ce cadre relève de la pertinence des recommandations du FMI, mais aussi des marges de manœuvre macroéconomique réelles du Gouvernement au vu des conditions politico-sociales ambiantes.
Un double examen
La mission du FMI a porté cette fois-ci sur un double examen de la situation de l’économie tunisienne. Le premier examen relève des consultations au titre de l’article IV des statuts du Fonds. Il s’agit d’une mission annuelle de surveillance de la politique macroéconomique et de change de l’ensemble des pays membres du FMI. Lesdites consultations couvrent un éventail de questions économiques d’ordre budgétaire, financier, monétaire et structurel, en mettant en relief les risques et vulnérabilités en jeu, ainsi que les réponses possibles de politique économique.
Le deuxième examen a consisté en la deuxième revue du programme d’appui à la Tunisie au travers de l’accord quadriennal approuvé en mai 2016 avec le FMI au titre du mécanisme élargi de crédit (MEDC). En fait, cet examen « deux en un » a permis de mettre en exergue les derniers développements macroéconomiques, les vulnérabilités existantes et les défis à relever durant la période à venir pour redresser l’état de l’économie.
Le FMI a relevé l’opposition de tendances caractérisant l’économie nationale. D’une part, le raffermissement de la dynamique de croissance ayant atteint 2% et porté essentiellement par les secteurs du tourisme et des phosphates, et le caractère ambitieux de la loi de Finances 2018 prévoyant un déficit budgétaire de moins de 5% du PIB contre 6,1% attendu en 2016. D’autre part et en revanche, la dynamique préoccupante de la dette publique et des déséquilibres extérieurs du pays.
Eu égard à ces considérations, le FMI a vivement appelé à la nécessité et l’urgence d’actions correctrices. La dimension structurelle récurrente des actions de réforme recommandées, consiste en particulier en l’accélération de la mise en œuvre de la stratégie fiscale du gouvernement et notamment le rapprochement entre les régimes fiscaux onshore et offshore, susceptible d’échapper à la liste des juridictions fiscales non coopératives, de la stratégie globale de réforme de la fonction publique, de la réduction des subventions de l’énergie, de la poursuite de la réforme du système de sécurité sociale, de la réforme des banques publiques et de la lutte contre la corruption par la nomination des membres du Conseil exécutif de l’Instance constitutionnelle indépendante pour la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption.
C’est plutôt la portée de la dimension conjoncturelle des conseils de politique économique du FMI qui interpelle cette fois-ci. Plus précisément, « la poursuite de la stratégie de resserrement de la politique monétaire de la Banque centrale de Tunisie, y compris en limitant le refinancement des banques, contribuera à ancrer les anticipations d’inflation et à soutenir le dinar sur le marché des changes. La flexibilité du taux de change continuera de contribuer à rendre l’économie tunisienne plus compétitive », a indiqué le FMI.
Des actions coûteuses
Si la persévérance sur la voie des réformes structurelles majeures aux fins notamment du rééquilibrage budgétaire est recevable, l’orientation vers plus de durcissement monétaire et de flexibilisation de change devra être traitée avec beaucoup de retenue, d’attention et de sérieux.
Premièrement, un accroissement additionnel du taux directeur de la Banque centrale déjà relevé à deux reprises consécutives aurait, éventuellement, des effets contreproductifs sur la dynamique de demande et par là, sur la reprise de la croissance économique. Toute augmentation du coût de ressources des banques suite à l’accroissement du taux du marché monétaire, déboucherait sur un renchérissement des taux débiteurs des crédits à la consommation et à l’investissement et du coup, briderait le comportement des dépenses globales et de l’activité économique dans son ensemble. Un tel profil de politique monétaire ne servirait guère la maîtrise de l’inflation dont les sources relèvent beaucoup plus des facteurs de coût (en particulier les salaires corrigés de la productivité) et de la structure du marché (circuits de distribution).
Deuxièmement, une flexibilité accrue du taux de change du dinar ne pourrait, en l’état actuel des choses, que produire des effets indésirables sur l’économie selon beaucoup d’experts. Ce sont là, en effet, les conditions requises pour qu’une dévaluation du dinar puisse être favorable à la compétitivité et résorber un déficit extérieur alarmant. Moins d’intervention de la Banque centrale sur le marché de change ne peut tenir la route dans le contexte ambiant : dégradation des termes de l’échange et effet volume limité à l’encontre des attentes ; moment inopportun à une dépréciation plus prononcée (climat encore marqué par une confiance insuffisante) ; mesures d’accompagnement inadéquates (une politique plus restrictive qu’exige toute décision de dévaluation n’est pas recommandée dans un contexte de mollesse de demande); marché de changes insuffisamment profond et liquide (règlementation de change); système de gestion du risque de change insuffisamment développé (sophistication des instruments de couverture des risques) ; non possibilité d’adopter un système d’ancrage nominal axé sur le ciblage d’inflation. Ainsi, les conditions appropriées ne sont pas encore réunies pour laisser flotter davantage le dinar.
Le FMI prône la correction des déséquilibres macroéconomiques avec « une logique intelligente ». Tout de même, l’intelligence suppose qu’il faut bien mesurer les effets réels de certaines actions de politique économique en termes de croissance et de bien-être social, en dépit de l’importance et de la nécessité de mobiliser les financements appropriés à l’économie.
Alaya Becheikh