En nommant Monsieur Habib Essid Chef du Gouvernement, le Président Caïd Essebsi savait-il que le pays allait encore plus sombrer dans la crise?
Beaucoup affirment que derrière cette nomination, le président voulait inverser la nouvelle logique constitutionnelle (qui donne la primauté de la gouvernance au Chef du gouvernement) et se donner les moyens de tenir les rennes du pays. Mais la structure même de la Présidence, définie par la nouvelle Constitution – très faible en matière exécutive – n’assure en rien cette ambition personnelle que certains prêtent au Chef de l’Etat.
Tout le monde sait que du temps de la dictature et du régime présidentiel, Carthage abritait un gouvernement bis, « et aussi la commission nationale des marchés » rajoutent les personnes informées. Il est vrai que Ben Ali disposait alors, au Palais lui-même, de conseillers tout-puissants qui avaient de l’influence sur les départements ministériels. Ces conseillers avaient la capacité de lancer les gros projets. Ils avaient une politique et des objectifs en plus d’une procédure. Petit exemple : pour la construction du Stade de Radès, architectes et urbanistes du Palais disposaient d’un hélicoptère pour le choix de l’emplacement, qui devait être pas trop loin de Tunis, près des voies d’accès, etc… Il y avait une forme d’intelligence, des moyens, des procédures et un pouvoir de décision qui sont aujourd’hui complètement absents.
Alors que le pays a actuellement besoin de très nombreuses et grandes réformes, la haute Administration croule sous l’immobilisme et l’impossibilité de concevoir et encore moins de développer une vision, un programme des plans, ni même de saisir les idées novatrices qui peuvent changer la donne.
En fait, l’Administration tunisienne manque cruellement de ce chef d’orchestre volontaire et génial capable de sortir le pays du néant dans lequel il baigne. Après une année de gouvernance, on réalise que Monsieur Habib Essid n’est pas l’homme idoine. On réalise aussi que le Président Béji Caïd Essebsi n’a, en fin de compte, ni l’ambition ni la volonté ni la capacité de jouer ce rôle. Il n’en a d’ailleurs même pas les moyens puisque les 5000 fonctionnaires présents à Carthage sont pour la plupart des petits cadres et des policiers (+ de 3000), ce qui nous donne une idée de l’absence totale d’intelligence dans la gestion des fonctionnaires puisque tous ces policiers végètent alors que le pays, en guerre contre le terrorisme, a besoin de toutes ses forces de l’ordre. Donc à Carthage même, chez lui, le Président est incapable de réformer des logiques nées durant la dictature.
Côté conseillers capables de sortir le pays de la crise, Essebsi n’en dispose pas et l’engagement de son chef de cabinet, Ridha Belhaj, aux côtés du fils lors des péripéties de Nidaa, nous donne une idée des priorités de la Présidence.
En fin de compte, la Tunisie a hérité une nouvelle fois d’un président et d’un gouvernement qui ne peuvent même pas gérer les affaires courantes. Ce qui, dans une période où les réformes sont devenues très urgentes, constitue un véritable danger.
Et même dans l’avenir, la chute de Nidaa et la montée en puissance d’Ennahdha sont de mauvais augure car le mouvement islamiste – naturellement conservateur – est encore moins apte que les responsables de Nida, à réformer le pays.
La Tunisie reste malmenée entre des progressistes qui refusent de s’unir et des conservateurs qui n’arrivent pas à la gérer. Ajoutez à cela un régime parlementaire qui est structurellement incapable de générer une politique salvatrice et vous avez les raisons de la crise endémique dans laquelle sombre le pays.
Seul un retour en force des progressistes autour d’idées neuves et fiables et une nouvelle loi électorale assurant le principe majoritaire pourraient rapidement changer la donne… dans quatre ans.
Mais le pays pourra-t-il tenir aussi longtemps avec une Administration immobile, une crise terrible et le péril aux frontières? Rien n’est moins sûr.