Depuis 4 ans, les observateurs ont constaté que l’Etat tunisien ne lutte que faiblement contre le terrorisme. Pourquoi?
Dès 2012, avertie sur le péril intégriste, Ennahdha a répondu laconiquement « ce ne sont que des enfants égarés ».
Des enfants égarés armés de Kalachnikov et de RPG?
Plus tard, quand la société civile s’est inquiétée des entrainements de jihadistes sur le mont Chaambi, les responsables d’Ennahdha ont rétorqué : « ils font du sport, éliminent leur cholestérol. » Malheureusement, avec leur cholestérol, ils ont éliminé des dizaines de nos soldats puis ont étendu leur terrorisme sur tout le territoire.
Les Tunisiens ont également vécu, comme dans un mauvais rêve, l’attaque de l’Ambassade US, quand le pouvoir en place, sans broncher, a laissé les jihadistes s’agglutiner autour du bâtiment. Ce n’est que lorsque la prise d’assaut fut lancée que le ministre de l’Intérieur de l’époque, Ali Laarayedh, complètement abasourdi a appelé la Brigade Anti Terroriste à la rescousse. Tout ce qu’a trouvé à dire ce grand tacticien c’est : « on les attendait par devant, ils sont arrivés par derrière ».
Plus tard, alors qu’Abou Yadh, l’ennemi public n°1, était encerclé par les forces de l’ordre dans la Mosquée Al Fath , Ali Laarayedh en personne a tenu à l’exfiltrer en Libye où, jusqu’à aujourd’hui, il planifie des opérations contre la Tunisie.
Tout le monde connaît aussi l’affaire de la note de la CIA prévenant la police de l’assassinat de Mohamed Brahmi et superbement ignorée par les autorités. Nous savons enfin que les plans antiterroristes présentés par les officiers de la Police ou de l’Armée ont été rejetés par les responsables. Bref, tout le monde a compris qu’Ennahdha n’avait aucune volonté de combattre le terrorisme, qu’au contraire, les liens entre elle et ce fléau sont très fort, des liens familiaux, idéologiques, etc.
Des centaines d’exemples de ce genre ont été relevés, aussi troublants que fiables, le tout confirmé par Rached Ghannouchi qui a répondu aux chefs salafistes venus lui demander ce qu’il attendait pour proclamer le Califat promis : « l’Armée n’est pas encore garantie ».
Lors du changement de majorité, début 2015, nous avons pensé que le nouveau pouvoir allait changer les choses, mais rien n’a été fait. Au contraire, la situation sécuritaire s’aggrava et la Tunisie connu les pires attentats de son histoire. Aucun travail, ni en amont, ni en aval, n’a été sérieusement mené. L’organisation policière poursuivit son délitement, la procédure de contrôle des mouvements de fonds resta en sommeil; la contrebande, pourvoyeuse de fonds, d’armes et de munitions, prospéra comme jamais; la mafia se développa, la loi antiterroriste, qui a mis des années pour être votée, fut très peu appliquée; la fameuse Direction Générale de l’Antiterrorisme, tant attendue, et qui aurait du rassembler toutes les brigades et moyens nécessaires à la lutte, n’a jamais été formée; les achats de matériel de police et de guerre subirent des retards aggravés; la procédure sécuritaire se compliqua et les réunions sécuritaires « en haut lieu » demeurèrent ce qu’elles étaient: une véritable mascarade destinée aux médias.
Avec tout ça, les vrais spécialistes de l’antiterrorisme, qui savent très bien ce qu’il faut faire pour éradiquer le mal, restèrent au placard.
La question que tout le monde se pose est : que cache cette mauvaise volonté manifeste de l’Etat?
Pour comprendre les tenants et les aboutissants de cette question, il faut revenir en arrière et se déplacer vers le Moyen Orient. Dans les années 1980, les USA ont trouvé l’arme absolue qui leur a permis de se défaire de l’Union Soviétique: le jihadisme. Ce dernier, avec quelques millions de dollars en missiles Stinger fournis par la CIA, a réussi là où les centaines de milliards de dollars dépensés en désinformation, espionnage, missiles, satellites, porte-avions, sous-marins nucléaires, Initiative Stratégique… ont échoué.
Bien sûr, le jihadisme a son objectif propre, le califat mondial. Mais parfois, comme en Afghanistan, cet objectif coïncide avec ceux d’autres pays ou organisations.
En 2010, le jihadisme allait une nouvelle fois se retrouver en phase avec l’Otan. Cette année-là, Bachar Al Assad a refusé le passage, sur le sol syrien, d’un gazoduc qui aurait permis au Qatar, Protectorat US, de concurrencer la Russie sur le marché Européen, qui, il faut le préciser, est le premier marché de la planète.
Pour l’Otan, le refus de Bachar est inadmissible et ce, pour trois raisons aussi essentielles que stratégiques :
1- la raison économique, car le gisement a de quoi fournir l’Europe durant 30 ans.
2 – la raison stratégique, car le gazoduc qatari va concurrencer la Russie et donc l’affaiblir.
3 – la raison sécuritaire, car il faut rompre l’axe chiite (Iran, Irak, Syrie, Liban) qui menace les meilleurs alliés de l’Otan : Israël et les monarchies wahabites.
Mais deux problèmes se posent :
1/ comment justifier une guerre en Syrie pour des raisons aussi bassement économiques que le passage d’un gazoduc?
2/ où trouver les forces nécessaires pour faire tomber le régime Syrien?
Une excellente occasion se présenta à la suite du soulèvement tunisien de décembre 2010, lorsque la plupart des pays arabes connurent des soulèvements similaires. Les manifestations en Syrie furent très vite instrumentalisées. Pour l’Otan et ses alliés, le prétexte était enfin là : il fallait faire tomber le régime « sanguinaire » de Bachar Al Assad, « ennemi de la liberté, des Droits de l’Homme et de la démocratie ».
Mais la désinformation et la manipulation ne pouvaient suffire a entraîner une mobilisation internationale car aucun pays ni aucun peuple n’est assez idiot pour accepter d’aller se battre sur un pareil bobard quand les meilleurs alliés de l’occident, les monarchies wahabites, sont les pires « ennemis de la liberté, des Droits de l’Homme et de la démocratie ».
C’est là que le complexe Otan-pétromonarchies décida de rajouter aux insuffisantes accusations de « sanguinaire », portées contre Bachar Al Assad, celle de « taghout » (tyran satanique), accusation qui pouvait mobiliser les intégristes sunnites qui, depuis toujours, accusent les Syriens au pouvoir de faire partie d’une « secte satanique », les Alaouites.
L’Assemblée mondiale des « Ulamas », financée par les pétrodollars, lança alors une fatwa appelant au jihad contre Bachar Al Assad.
Restait l’essentiel : mobiliser les légions de jihadistes nécessaires et les transporter en Syrie pour faire tomber le régime.
Comment faire? Quelles organisations sont assez outillées pour ça?
Les Frères Musulmans et leurs alliés salafistes fournissent les légions de jihadistes.
En 2012, les Frères Musulmans, qui ont réussi à détourner le mouvement réformiste à la base des révolutions arabes, ont le vent en poupe: ils dominent la Tunisie, l’Egypte, la Turquie, ils ont un pied en Libye et des forces non négligeables dans tous les pays arabes et dans les communautés musulmanes d’Occident. Ce sont eux qui vont administrer le système. Quant aux salafistes, ils en sont la cheville ouvrière: non seulement ils animent et dominent des milliers de mosquées, mais ils ont la méthode et le langage nécessaire pour recruter en masse, surtout que depuis des décennies, le wahabisme a bien préparé le terrain en faisant la promotion, à coups de milliards de dollars, d’une culture de l’ignorance et de la mort.
Les hordes de jihadistes sont alors recrutées et transportées en Turquie, le plus légalement du monde, pour aller renforcer les rangs des terroristes en Syrie. Beaucoup, parmi les jeunes, croient combattre pour la gloire d’Allah. Ils ne savent pas qu’ils le font pour la richesse des émirs et de l’Otan.
En Tunisie, le recrutement des jihadistes est une affaire d’Etat
Le recrutement des jihadistes s’est donc fait à très grande échelle, parfois avec la contribution de l’Etat, comme en Tunisie où les Frères Musulmans au pouvoir protègent le système et où même le président de la République de l’époque, Moncef Marzouki, est monté au créneau en organisant la réunion des pseudos « Amis de la Syrie » pour associer la révolution tunisienne au soulèvement syrien. Ainsi, la Tunisie révolutionnaire a mobilisé le plus gros contingent au monde de terroristes contre le régime de Bachar Al Assad. Bachar n’est certes pas un démocrate convaincu, mais son régime, progressiste et multi-confessionnel est bien plus fréquentable que celui des wahabites.
Avec l’arrivée de Caïd Essebsi, le système demeure
En janvier 2015, avec l’arrivée de Béji Caïd Essebsi à la tête de l’Etat, tout le monde pensait que ses promesses allaient être tenues et que la Tunisie allait enfin prendre un autre chemin et donner à sa jeunesse autre chose que le rêve jihadiste, mais c’était oublier l’accord du nouveau président avec le régisseur de tout le système: le président d’Ennahdha, M. Rached Ghannouchi.
La Tunisie, malgré l’arrivée d’une nouvelle majorité, poursuivit donc la même politique et la même diplomatie pro-wahabite qu’Ennahdha. Pourquoi? Parce que le maintien du contingent de jihadistes tunisiens sur le théâtre d’opération syrien est, de par son importance, essentiel. Les considérations stratégiques de l’Otan, et de ses alliés, mentionnées plus haut, dépassent de très loin nos petits problèmes tuniso-tunisiens. D’ailleurs, les actes terroristes que nous subissons, ne sont que les ratés de l’énorme machine de l’internationale terroriste destinée à la Syrie. Notre terrorisme « intérieur » est un phénomène marginal, négligeable, hors contexte, et « hors contrôle ». D’ailleurs, l’Otan veut bien nous assister contre ces ratés-là, d’où ses aides militaires. Pour l’Otan, l’essentiel est que la Tunisie continue à jouer son rôle de pourvoyeur de la plus grande armée au monde de Jihadistes.
Mrs Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi, que beaucoup prennent pour des dirigeants politiques, ne sont en réalité que les gardiens de ce système de recrutement et d’envoi de jihadistes mis en place depuis 2012 sous l’égide de l’Otan et des pétromonarchies, ce qui n’est pas peu!
Les deux gérontes qui dominent l’Etat tunisien ne se concurrencent que dans leur allégeance aux bénéficiaires de ce système qui leur garanti pouvoir et argent.
La Tunisie y a perdu sa dignité, sa souveraineté et sa jeunesse, jetée au caniveau de l’humanité.
Le pire reste à venir
Mais il y a pire. Le 30 septembre 2015, Vladimir Poutine annonce l’intervention des forces russes en Syrie, aux côtés de l’armée nationale. Pour l’Otan, à la catastrophe économique, sécuritaire et stratégique, s’en ajoute une autre : le retour de la Russie au premier plan et la possible perte du leadership U.S. sur le Moyen-Orient. L’Otan fait tout pour sauver ses légions de jihadistes, accuse la Russie de tous les maux, tente même une montée aux extrêmes, mais, très vite, le rouleau compresseur russe, assisté au sol par l’armée syrienne, le Hezbollah et les unités spéciales iraniennes, écrase les jihadistes et change la donne.
Désormais, nous sommes devant l’éventualité d’une victoire du régime syrien, mais les conséquences pour la Tunisie sont terribles.
« Retour à l’envoyeur »
Que vont faire les milliers de jihadistes tunisiens qui sont encore en Syrie? Certains suivront encore leurs maîtres wahabites et iront au Yémen, d’autres rejoindront l’E.I. en Irak, d’autres encore iront en Libye, mais il ne faut pas se leurrer: l’essentiel reviendra en Tunisie, une Tunisie devenue, pour eux, une proie très facile depuis 2011 et l’affaiblissement volontaire de l’antiterrorisme et du Renseignement tunisiens.
Nourris au rêve califal, entraînés à se battre contre les meilleures armées du monde et jouissant, en Tunisie même, d’un nombre infini d’armes et de munitions, les jihadistes tunisiens ne feront qu’une bouchée de nos forces de l’ordre maintenues depuis 5 ans dans un sous développement volontaire.
Comment relever le défi?
Comment la Tunisie pourrait-elle relever ce défi en étant dirigée par ceux qui, précisément, l’ont poussée dans ce piège?
Une véritable prise de conscience doit avoir lieu pour lancer une alternative politique qui doit faire fi de tous les obstacles et s’atteler à la tâche de sauver le pays du naufrage programmé par des gérontes sans vision ni patriotisme.
Aujourd’hui, tout le monde est conscient de ce problème, mais les initiatives restent dispersées. Il est temps que les citoyens appellent sérieusement les politiques à laisser tomber leurs égos diviseurs car désormais, ce n’est plus le pouvoir qui est en jeu, mais le pays lui-même.
Un Comité de Salut Public doit être formé par des personnalités politiques au dessus de tout soupçon et appeler vigoureusement l’Etat :
– à fermer les frontières aux jihadistes de retour,
– à donner aux forces de l’ordre tous les moyens qu’ils demandent pour éliminer le terrorisme,
– à nommer les personnes nécessaires à la tête de nos forces de l’ordre,
– à interdire – dans cette période très dangereuse pour le pays – les syndicats au sein de nos forces de l’ordre…
Ce sont les premières dispositions à prendre dans l’extrême urgence. Sans cela, la Tunisie risque de sombrer dans un chaos qu’elle n’a pas connu depuis des siècles. Toutes les conditions sont réunies pour sombrer dans le gouffre, mais toutes les conditions sont aussi réunies pour sauver le pays car tous les Tunisiens sont conscients du risque, comme ils sont conscients de l’impossibilité, pour le pouvoir actuel, d’éviter le pire.