Trois ans après la promulgation de la Constitution et deux ans après les élections, le constat est clair : le gouvernement, malgré une volonté affirmée, n’arrive pas à débarrasser le pays d’un seul de ses mafieux, actifs jusqu’au sommet de l’Etat. S’il n’y arrive pas, c’est principalement pour des raisons juridiques, la Constitution ayant dépourvu l’État de toute efficacité dans la capacité de faire respecter la loi. Ce travers se manifeste avec force dans la lutte contre la corruption : « Lors des réunions au plus haut niveau, destinées à combattre la mafia, des sms partent avertir les mafieux » déclare un proche du pouvoir, « la Justice est pourrie jusqu’à la moelle épinière, l’indépendance de la magistrature s’est révélée une manne céleste pour la mafia et un terrible blocage pour les gouvernements qui n’arrivent pas à exécuter leur politique ». Côté police, extrême déception : « aucun dossier sur les grands corrompus n’existe » déclare le policier n°1 du pays : le Directeur Général de la Sûreté Nationale. Pour quelle raison? Ses Directeurs généraux chargés des missions les plus sophistiquées (Services Spéciaux, Écoutes, Renseignement, Enquêtes, etc…) n’ont rien. Un responsable lance, après avoir renvoyé 4 des 7 principaux dirigeants de la police : « mais à quoi servez vous si vous n’êtes même pas apte à rassembler un seul dossier sur la corruption ? ».
C’est la question majeure. Non seulement la police ne sert à rien, mais elle travaille désormais contre l’Etat. Tout comme la Justice qui depuis 4 ans libère les terroristes et n’instruit aucune action contre les mafieux.
C’est simple, l’Etat, tel qu’il est organisé, est devant une impasse car il est devenu le protecteur de la mafia.
Malgré une grande volonté du gouvernement, la situation est bloquée « institutionnellement ».
Reste qu’un gouvernement n’est pas un staff de société, un gouvernement dispose d’un arsenal juridique et d’un arsenal policier, mais, même au cas où ces derniers montrent une très mauvaise volonté, il ne faut pas oublier sa fonction première qui est aussi une arme redoutable : la politique.
Quelle politique? Celle-là même que déploient Youssef Chahed et son équipe, sauf qu’il faut mettre en avant ce problème de blocage institutionnel et, comme dans tous les pays évolués du monde, mettre en place les moyens spéciaux pour combattre ces fléaux.
Tous les Tunisiens sont conscients de ce problème de la prise en otage de l’Etat par la mafia, tous les Tunisiens attendent un geste fort pour le soutenir. Surtout que le plan du gouvernement comprend dans sa première priorité la lutte contre la corruption et que ce plan a été validé par plusieurs partis et organisations nationales qui représentent une majorité politique et populaire absolue. Le gouvernement, fort de cet appui, doit tout simplement « rentrer dans le tas » de ces mafieux en déployant une grosse opération de communication politique, avec preuves et témoignages à l’appui. Le gouvernement est conscient que ce n’est pas seulement sa crédibilité qui en dépend mais aussi l’intégrité du pays.
Il y a une volonté populaire affirmée de passer outre le système véreux mis en place en 2014, il est temps de mettre en sourdine l’hypocrisie démocratique et de mettre en avant la volonté politique de remettre la Tunisie debout et de la débarrasser de ses mafieux.
Certains craignent qu’une telle politique aboutisse à un retour à la dictature. Mais plus personne, en Tunisie, n’a le pouvoir ni la possibilité ni la légitimité de mettre en place une dictature. Par contre, l’histoire de l’humanité est riche d’exemples en matière de pratiques d’exception mises en place en périodes de troubles et qui ne remettent nullement en cause le principe démocratique. Ces pratiques peuvent même être votée pour un temps précis par l’Assemblée. Ayant eu plusieurs fois affaire à l’ARP, je la considère comme une Assemblée digne et ne remet aucunement en cause sa crédibilité, mais, pour ceux qui ne sont pas du même avis, l’Assemblée, face à une vraie communication politique gouvernementale anti-mafia, ne pourra pas se mettre en travers d’une volonté aussi affirmée de combattre la corruption.
Utiliser la force publique tout en mettant en avant une justice d’exception, ce n’est pas une mesure dictatoriale. Ceci est parfaitement justifiable politiquement, donc réalisable, même s’il faut faire quelques entorses à une Constitution qui s’est révélée plus apte à défendre les mafieux qu’a encadrer le fonctionnement sain de l’Etat.
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