Par Slim Khalbous*
Plusieurs acteurs politiques estiment sans doute à juste titre qu’il est incongru de parler d’un gouvernement de compétences dans un régime démocratique. D’autres acteurs politiques, et surtout de la société civile, estiment quant-à-eux, et c’est également recevable comme argument, que nous avons collectivement échoué, depuis 2011, à mener les deux fronts en parallèle, à savoir celui de la construction politique d’une république démocratique et celui de la gestion socio-économique du pays.
Alors faut-il un gouvernement de compétences ou pas ? et si oui à quelles conditions ? Et entre temps que devraient faire les partis politiques ?
Il me semble qu’un gouvernement de compétences n’a de sens que s’il est formé pour une période donnée, limitée dans le temps, conçue comme une phase de transition dans la construction démocratique. Il s’agit, d’une part, de confier la gouvernance du pays, à court terme, à une équipe compétente et non partisane pour répondre aux nombreuses urgences sociales et économiques en attente. Et d’autre part, de laisser la place et le temps nécessaire aux partis politiques pour concevoir une vraie réorganisation politique structurelle qui aboutirait à un nouveau code électoral et un ajustement de la constitution en conséquence. Un ajustement qui devient de plus en plus nécessaire, de l’avis pratiquement de toute la classe politique même si les orientations divergent. Les 5 élections et la dizaine de gouvernements depuis la révolution ont abouti à une compétition féroce pour le pouvoir qui n’a jamais permis de tenir un débat sérieux nécessaire autour de cette question cruciale pour l’avenir de notre démocratie : comment avoir une meilleure représentativité au parlement et surtout une majorité stable qui peut réellement gouverner avec des choix assumés ; voilà un débat d’autant plus nécessaire que nous avons désormais un bon retour sur expérience à exploiter.
Cette double perspective permettrait donc de mener une gestion parallèle et rapide d’une double crise qui secoue le pays depuis 10 ans à savoir la crise de l’instabilité politique d’un côté et la crise socio-économique de l’autre.
Selon cette double approche, le gouvernement n’aurait pas mandat à faire des réformes structurelles de fond, car dans une démocratie, cela suppose une orientation politique qui aurait mandat du peuple, à travers le vote, pour exécuter une orientation plutôt qu’une autre. Par exemple, pour le problème des entreprises publiques, le gouvernement ne devrait pas trancher sur la privatisation ou pas, car ce choix est d’abord politique (libéralisme vs socialisme vs conservatisme…) ; mais plutôt travailler sur la bonne gouvernance pour commencer le redressement de ces entreprises… Cette gouvernance neutre de l’important et de l’urgent mais pas du long terme, permettra de baisser la pression du quotidien sur les politiques qui pourront se consacrer, durant cette période, à réformer le système politique.
Sans cette double démarche, avec le système politique actuel et l’émiettement des voix à l’intérieur du parlement, nous allons continuer dans les polémiques politiciennes et la gouvernance approximative du pays quelle que soit la nature du gouvernement. Nous allons continuer à assister collectivement impuissants au spectacle médiocre entre les partis politiques. Des partis au pouvoir, mais avec un pouvoir très instable et sans vision pour le pays, et d’autres partis dans l’opposition, dont le seul objectif est de faire échouer les premiers sans aucun contre-projet pour le pays… De plus, toutes les études sociologiques montrent que même en cas de dissolution et de nouvelles élections, si on garde le système de vote actuel, rien ne changera sur le fond.
*Universitaire, ancien ministre.