Les humains, dans les quatre coins de la planète, vivent une ère de grandes angoisses. Les démonstrations abondent, celles contre l’Islam, celles contre l’Occident et son nouvel ordre mondial. Mais l’expression la plus déroutante, pour être la plus sanglante, est celle du «djihadisme» terroriste de l’Etat islamique (E.I.), Front-al-Nosra… Aucun pays ne trouve grâce à leurs yeux.
Pour l’entendement pur, ce terrorisme est une manifestation du primitivisme de l’idéologie wahhabite.
Certains analystes allèguent, par contre, qu’il n’est nullement question d’un primitivisme. Ils cataloguent cet invraisemblable fléau parmi « les modernismes dévoyés » dans le sens des modernisations conservatrices tels les mouvements populistes européens et le tea-party américain.
Cette approche obéit à l’analyse des représentations mentales. Les images d’épouvante sur les actions « d’éclat » des « djihadistes » sont propagées à profusion sur les réseaux sociaux, les TV…
Les observateurs avertis agréent à leur mode de réalisation une technicité et une ingéniosité hollywoodiennes !
Il va sans dire de la discipline, du sens de l’efficacité et du technocratisme dont font preuve les dirigeants de ce gigantesque magma. Constituer et organiser des troupes d’origines diverses (estimées à 30 milles), gérer des budgets et des flux d’argent n’est, certes, pas chose aisée.
Le monde s’était éveillé un jour faisant face à un impétueux corps étrangement magmatique. Qui, plus est, fusé dans une région géopolitique, aliéné par des legs d’un passé d’une complexité déconcertante.
La commission d’enquête indépendante des Nations Unies sur la Syrie a révélé que « plusieurs Etats ont essayé d’influer sur différentes parties au nom de leurs intérêts géopolitiques ». Ils ont militarisé la situation. Ainsi, leurs « aides financière, militaire et technique » ont mué cette crise syrienne en un « conflit régional ». Ces intrusions n’ont fait que « renforcer les groupes terroristes de Daech (E.I.) et du Front-al-nasra… ».
Malgré ces graves conclusions de l’enquête onusienne, les Etats Unis et la Turquie ont signé un accord, en vue d’équiper et de former «des opposants syriens modérés», dont le «Front Al-Nosra ?», en Turquie, alors même que l’U.S. Air Force bombarde des cibles de l’E.I. et d’autres milices terroristes.
Que comprendre ? Des observateurs avertis conviennent qu’il s’y « dégage une forte odeur de pétrole et de gaz ».
Une dynamique des mêmes faits apparaît sur la même scène avec de nouveaux acteurs et, avec la même (nouvelle) intrigue sous nos yeux à tous. Les nouveaux acteurs faussent les donnes et mettent en avant des mécanismes plus innovants. Un Sykes-Picot, dans lequel les questions pétrolières étaient dominantes, est-il de retour ?
Démantèlement de l’Empire, une plaie toujours ouverte
Ces groupes terroristes déclament avec redondance que ces accords symbolisent « la trahison des Européens » ; Ceux-là mêmes qui ont démantelé l’empire ottoman.
Ces mêmes groupes (Daech, Front Al-Nosra…) reconnaissent, sans subterfuge, avoir effectué le développement de certains de leurs réseaux et de leurs recrutements à partir du sol turc. Et, la Turquie leur sert, de base arrière ; ils ne s’en cachent pas.
D’ailleurs, le président Recept Tayyep Erdogan a bien été franchement tiède quant au bombardement de ces groupes par la coalition. Il s’est même décliné, quant à l’utilisation de la base aérienne d’Incirlik (Sud). Le recul de l’E.I. est « un coup dur à la politique étrangère turque » a reconnu le ministre des Affaires étrangères turc poursuivant que Daech n’est autre qu’une « force sunnite, dont l’obligation est de parer à l’hégémonisme des chiites » en Irak, adversaire légendaire.
Et, bien que discrètement, la Turquie aura été la seule à pouvoir intervenir auprès de Daech et le Front Al-Nosra pour libérer, de leur joug, des militaires libanais.
Par delà cet accord turco-américain, qui n’est, en fait, qu’une fin, ne faut-il pas décoder d’autres causes ?
La Turquie renoue avec son histoire ?
Après plusieurs siècles, l’histoire semble ressurgir. Et la reproduction, par le pouvoir turc en place, de quelques mêmes faits des temps glorieux de l’Empire, conforte l’idée qui germait, depuis longtemps, dans l’esprit des conservateurs du parti de Tayyep Erdogan (l’AKP). Idée porteuse du projet de restaurer la grandeur et la renaissance de l’Empire ottoman. Pourquoi pas en intégrant, dans la sphère d’influence turque, cet ensemble de « musulmans sunnites ». Et, faire, de la sorte, de la Turquie, un pays leader dans la région.
«D’où venons-nous… de ce que nous appelons le passé… des océans d’oubli».
En 1515, les Turcs contrôlaient les voies stratégiques : du Caucase au Levant. En 1517, Salim 1er, en présence du Calife Al- Moutawakil, prend le titre de «Protecteur des deux sanctuaires sacrés», la Mecque et Médine. Il est, ainsi, le commandeur des croyants, défenseur de la foi et de la «Charia». «Calife légitime», Soliman le législateur fait tomber Belgrade, rempart de la chrétienté et «porte de la Hongrie», de la Transylvanie et de la Slovénie, qu’il devait occuper par la suite.
C’est à croire, aujourd’hui, que les troupes de l’E.I., qui sèment la terreur partout, sont perçues par l’AKP comme étant les nouveaux janissaires, dotés de moyens ultramodernes pour servir un projet politico-idéologique conservateur.
Les gardes du président Erdogan, ne rappellent-ils pas les janissaires de l’Empire turc par leur accoutrement ? Et, le président turc, qu’on dit s’identifier à Soliman, se rend chaque vendredi à son sépulcre pour y réciter «la Fatiha». Pour être sur ses pas, il redresse l’économie qui grimpe à plus de 8%, il lance des projets de prestige : fait construire une mosquée visible, semble-t-il, de tous les coins d’Istanbul. A charge de revanche sur le fondateur de la République en Turquie, Kemal Atatürk, il fait ériger sur les terres de celui-ci, son somptueux et incommensurable palais (mille luxueuses pièces), passant outre l’opposition de diverses parties.
Autre fait qui suscite l’attention et les suspicions à l’égard des relations Turquie-Etat islamique, l’intrusion dans le territoire syrien (40 km), que contrôlent les troupes de l’E.I., sans heurts. Cette opération militaire s’est effectuée afin de récupérer la dépouille d’un dignitaire ottoman.
Des analystes, intrigués, se demandent si cette opération, qui s’est déroulée sans aucun combat, ne confirme pas la rumeur à propos d’une alliance entre les deux parties. Une autre thèse est plus encline à voir «un pacte de non-agression». Au vu de la contrebande du pétrole, « qui traverse la Turquie et arrive plus facilement dans les raffineries européennes et américaines », effectuée par les groupes «djihadistes», il s’agit d’une simple entente de non-agression.
Le ministre des Affaires étrangères égyptien, dont le pays est sévèrement menacé par ces «groupes terroristes», ne s’embarrasse pas et accuse le président Erdogan d’être «un homme désireux de provoquer le chaos et de semer la division au Proche-Orient à travers son soutien à des groupes et des organisations terroristes». Veut-il insinuer une nouvelle «fetna» (division) entre musulmans ?
Et, du vieil adage «il n’y a pas de fumée sans feu », ne faut-il pas tirer une leçon d’histoire ottomane ?
L’Empire turc au temps de Solimanh
Au siècle de la renaissance en Europe, Constantinople, du temps de Soliman le magnifique, XVIe siècle, était déjà un centre déterminant d’échanges ouvert sur tout le monde. Le renseignement y foisonnait « comme aujourd’hui… ». Pourtant, au sortir du désordre et de l’anarchie du Moyen-âge, l’Europe avait instauré des pouvoirs forts.
En France, le «Roi Chevalier» François 1er, pour se protéger contre le danger germano-espagnol des Habsbourg, celui de l’opiniâtre et ambitieux Charles Quint, s’était rallié au plus fort, le Sultan turc. Cet osmanli « assis sur le trône des Césars », manœuvrait avec modération et tolérance : Il signe avec François 1er un traité qui permet à ce dernier la protection des lieux saints et des Chrétiens de l’Empire turc.
Emna Soula