UGTT : Entre légitimité et défis à venir

 
Ce 20 janvier 2015, la Tunisie célèbre la naissance de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) institution vieille maintenant de 69 ans. Les pères fondateurs, dont le leader Farhat Hached, avaient bâti cette Centrale syndicale dans un but purement nationaliste. On ne peut guère douter du rôle de l’UGTT à fonder et à forger une véritable culture et une tradition syndicale dont la réputation transcendait les frontières dans le monde arabe et à l’étranger. Alors que demain s’ouvre un colloque international autour du « Rôle de l’UGTT dans l’œuvre de la construction nationale de 1946 à nos jours », des questions se posent avec une acuité particulière concernant justement son rôle depuis la Révolution du 14 janvier 2011.

La vague de grèves engagée dans des domaines vitaux tels que les phosphates, l’enseignement et plus particulièrement la grève anarchique des transports publics (cheminots excepté) interpelle à se poser des questions sur le rôle que peut et doit jouer l’UGTT dans cette phase transitionnelle difficile caractérisée par une régression vertigineuse sur le plan économique alors que les revendications sociales et syndicales ne cessent de s’amplifier voire se « radicaliser » ?

Les dilemmes, revendications, production et productivité

La défense du pouvoir d’achat des Tunisiens telle fut le leitmotiv brandi par l’UGTT durant son histoire avec des consensus avec les dirigeants politiques mais et parfois avec des confrontations sociales à l’exemple des événements du 26 janvier 1978, première grève générale exécutée et qui avait provoqué une scission entre le gouvernement et les dirigeants de l’UGTT. Sous Ben Ali, la trêve était de mise et seul le bassin minier de Redeyef avait fait exception sous l’impulsion de  syndicalistes, d’avocats et de journalistes.

Personne ne conteste aujourd’hui la détérioration du pouvoir d’achat du Tunisien moyen estimé globalement à 13% par rapport à l’année 2010. D’autre part, la Révolution du 14 janvier a brandi le slogan de l’égalité sociale et la dignité qui doit nécessairement obéir à une vie décente pour tout citoyen s’agissant du travail et du pouvoir d’achat. Force est de constater que les gouvernements successifs de la Troïka ont répondu dans la plupart du temps à travers des mesures populistes et ce, en affectant lourdement les entreprises publiques (déficitaires en majorité) par des recrutements à la va-vite sans garder de vue les conséquences financières désastreuses à ces mesures. Celles-ci étaient généralement prises pour calmer l’effervescence sociale et attirer de potentiels électeurs sans prendre en considération la viabilité économique et financière de la société ou de l’entreprise. La Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) est à ce titre un cas éloquent : le personnel a été quasiment doublé au même temps que la production a baissé de plus de la moitié !

Les réponses des différents ministres face aux diverses revendications syndicales plaident en la faveur d’une spirale de recrutements à tout va, d’augmentations non méritées car tout simplement rien ne va. D’après une étude de terrain, les Tunisiens dans les divers secteurs administratifs n’effectuent réellement que 2h30 de travail par jour sur les 8h.00 ; triste constat ! Le ministre de l’Industrie avait répondu sur la demande de prime de rendement dans le secteur des phosphates : de quel rendement parle-t-on alors que la production n’a même pas pu rattraper le niveau de 2010 ?

Le discours du gouvernement prône la reprise crescendo du travail, une trêve sociale et l’augmentation de la productivité dans tous les secteurs alors que les syndicats parlent d’abord de soutenir le pouvoir d’achat pour affronter l’inflation galopante et la cherté de la vie. Mieux encore, l’UGTT évoque des accords signés mais qui n’ont jamais mis en exécution par l’actuel gouvernement. Le bras de fer le plus visible fut sans doute dans le secteur du transport, une grève anarchique et qui avait pris en otage la plupart de la population pauvre pour le reste pour aller subsister : les mesures judiciaires prises, le travail a repris et la grève de trois jours fut ajournée pour le 26 janvier prochain.

 

Le duel entre syndicalisme et politique peut-il cesser?

Il y va de réussite de la Révolution tunisienne que d’engager réellement de nouvelles pistes de dialogue. D’abord et concernant la lutte syndicale, la grève ne devra jamais servir de moyen de pression, ni de mesure punitive. Il serait préférable de revenir toujours à la table de négociation, d’engager d’abord une véritable énergie de travail, de production, de productivité puis de revendiquer des avantages en fonction des progrès réalisés. Il serait inconcevable aujourd’hui de paralyser une entreprise étatique et puis de demander des indemnités et des augmentations de salaire. Ce dialogue et ces accords doivent-être écrits et conditionnés d’abord par un retour en force au travail et que l’entreprise sorte un peu du gouffre, et puis de gratifier non pêle-mêle mais les plus méritants.

Il serait grand temps que tout le monde révise sa stratégie et engage une véritable volonté de réviser la législation et le mode de fonctionnement de plusieurs entreprises nationales. Le gouvernement, pour sa part, doit étudier profondément les propositions qui lui sont soumises, notamment leur impact sur le budget de l’Etat, avant leur approbation ou la signature d’un quelconque accord.  Cela évitera beaucoup de problèmes et de tension et renforcera sa crédibilité.

L’UGTT a tout à gagner d’engager de nombreux autres modes de dialogues, d’études, de communication avec le public et le gouvernement ; les grèves dans des secteurs précis ne pourront  affecter que la classe défavorisée.

Faisons de ces derniers événements une occasion pour consacrer une véritable réflexion sur notre économie et nos conditions de vie mais tous et de concert. Brandir des haches de guerre, user des menaces, bloquer des entreprises ne feront qu’empirer la situation.

Fayçal Chérif

 

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