Le 23e congrès de l’UGTT constitue manifestement un événement national marquant, de par les enjeux qu’il comporte, le rôle dévolu à la Centrale syndicale dans la vie politique, économique et sociale au cours de la prochaine étape et des arbitrages qu’elle aura à jouer dans un contexte de crise profonde et de tensions sociales très vives.
D’un congrès à l’autre, la Centrale syndicale a été constamment au rendez-vous avec l’Histoire, parvenant, à la faveur de la cohésion de ses militants, de leur engagement sans faille, des choix qu’ils défendent et des droits qu’ils revendiquent, à consolider ses assises et son influence dans un pays balloté par des manœuvres qui ont failli dévier la Révolution de ses véritables objectifs et mettre en péril un processus démocratique encore fragile.
En harmonie avec son histoire glorieuse, l’UGTT a été depuis 2011 aux avant-postes de tous les combats menés par les Tunisiens pour sauver la démocratie naissante, les fondements de l’Etat civil et lutter efficacement contre toutes les dérives obscurantistes qui ont failli mettre le pays à feu et à sang. A l’évidence, l’UGTT peut se prévaloir d’un bilan plus qu’honorable dans la mesure où elle a été avec d’autres organisations de la société civile l’un des artisans de la réussite de la transition tunisienne, du dialogue national qui a épargné le pays de graves tourments, de la cohésion des Tunisiens et de leur engagement autour de principes et objectifs partagés.
C’est pour cet itinéraire militant atypique que l’UGTT, avec l’UTICA, la Ligue tunisienne des Droits de l’Homme et l’Ordre des avocats tunisiens, a pu recevoir, pour la première fois, le prix Nobel de la paix de 2015 et que l’expérience réussie du dialogue national a retenu l’attention du monde entier.
Mais d’un congrès à l’autre, tout ne fut pas rose dans l’action engagée par la Centrale syndicale qui, pour engranger plus d’acquis pour les travailleurs, n’a pas toujours pris en considération ni la situation économique difficile que connait le pays, qui a été obligé de s’endetter pour servir les augmentations salariales souvent injustifiées, ni celle des entreprises économiques qui se sont trouvées souvent otages de surenchères qui les ont condamnées à sacrifier l’investissement et la création de nouveaux emplois pour satisfaire les appétits insatiables des syndicats.
Pour avoir constamment remué le couteau dans la plaie, exploité à fond l’affaiblissement de l’Etat et opté pour la politique du fait accompli, l’UGTT a tourné le dos au dialogue dont elle est l’un des défenseurs acharnés, au compromis qui est à la base dans toute relation pérenne et saine entre partenaires sociaux et en se prévalant en tant que véritable centre du pouvoir. Malheureusement, l’idée d’une Centrale syndicale devenant un contre-pouvoir où se font et se défont les politiques, les stratégies, les réformes et les choix d’avenir a tendance à s’incruster dans l’imaginaire populaire.
Pour toutes ces raisons évidentes, le congrès de l’UGTT est appréhendé, non comme un événement normal, mais en tant que date buttoir qui donnera le ton pour la prochaine période. Annoncera-t-il une période d’apaisement social, ou sera-t-il le catalyseur d’une nouvelle période de tensions et de troubles sociaux ? Quels que soient la composition du prochain bureau exécutif de la Centrale syndicale, le nom du nouveau Secrétaire général ou le programme d’action que l’UGTT s’attèlera à mettre en route, la question que de nombreux ne cessent de poser à trait à la capacité de la Centrale syndicale à se renouveler, à adapter son action à un contexte national mouvant et de réhabiliter le dialogue et les voies du compromis.
Le temps n’est-il pas aujourd’hui pour le travail, l’effort, non aux revendications excessives qu’il sera impossible de satisfaire.
La politique du fait accompli, du bras de fer continu et des revendications à tout va, suivie depuis 2011, a montré ses limites et les dégâts qu’elle a occasionnés sur le plan économique et social sont aujourd’hui difficilement réparables.
L’aggravation du chômage, la baisse continue de l’investissement, l’érosion de la compétitivité, sont autant de facteurs qui ont aggravé les difficultés du pays et rendu le dialogue de plus en plus difficile et le consensus sur les grands choix d’avenir de plus en plus incertain.
A la croisée des chemins, l’UGTT est face à des choix difficiles. Des choix qui permettent de rompre avec le jusqu’auboutisme et l’action désordonnée et anarchique qui a jusqu’ici prévalu.
S’il est légitime pour la Centrale syndicale de se constituer en un contre-pouvoir et d’être un facteur d’équilibre politique et social, ce qui ne l’est pas, en revanche, c’est de la voir se transformer en centre de pouvoir absolu.
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