C’est le 1er Mai, jour de la Fête du Travail, que les députés ont travaillé d’arrache-pied pour terminer les quelques articles en suspens, notamment les articles 23 et 137. L’article 23 traite de l’organisation des listes de candidatures et butait une fois encore sur la parité (tant horizontale que verticale) afin de légitimer la participation équitable des femmes. La discussion a été émaillée de nombreuses tensions entre les deux camps et d’une nouvelle crise de fureur du député Ibrahim Kassas, bien connu pour ses éclats, mais qui a cette fois dépassé les bornes et a fait montré du machinisme le plus abject. J’espère que les prochaines élections ne permettront plus à de pareils énergumènes de siéger dans l’hémicycle. Le calme revenu, l’article 23 a été adopté par 160 voix.
L’article 167, lui, préconisait l’exclusion de la candidature de “toute personne ayant assuré des responsabilités au sein du gouvernement du président déchu”, le 30 avril, il n’a obtenu que 108 voix, soit une voix de moins que la majorité absolue (109 voix), ce qui a motivé la colère des partisans de la Troïka qui, après d’âpres discussions, ont exigé un nouveau vote. Un texte modifié a été proposé et stipulait l’exclusion de la candidature de “toute personne ayant assuré des responsabilités dans le gouvernement du président déchu entre la date des élections législatives de 1994 et le 1er janvier 2014”, ainsi conçu, le texte de l’article 167 a été adapté par seulement 100 voix, le camp démocratique s’étant repris, d’une part et certaines interventions ayant sans doute modifié le vote d’un certain nombre d’élus d’Ennahdha d’autre part… Personnellement, je pense que cette modification du texte de l’article 167 est logique, car la prise de pouvoir de Ben Ali en 1989 a bénéficié d’un préjugé favorable de la part de la majorité de la population au vu des premiers actes du nouveau président (souvenons-nous de la libération des détenus islamistes notamment). Ce n’est qu’après un certain temps — et le choix de l’année 1994 n’est pas dû au hasard — que le vrai visage de la mafia familiale et politique s’est révélé aux citoyens et aux militants honnêtes, dont nombreux sont ceux qui ont cessé ou mis en veille leurs activités politiques et abandonné leurs responsabilités.
La séance s’est terminée par un vibrant hymne national, pour lequel certains “ténors” mécontents ont négligé de se lever !
* Une décision importante me paraît ne pas avoir eu droit à la publicité méritée. C’est pourtant une grande victoire pour les femmes tunisiennes : il s’agit de la levée, notifiée le 28 avril, de toute réserve du gouvernement tunisien quant à l’adhésion de la Tunisie à la Convention CEDAW. Cette convention porte sur “l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes”. Elle a été adoptée en 1979 par l’Assemblée générale des Nations unies et a été ratifiée par la Tunisie en 1985, mais en maintenant certaines réserves spécifiques et en l’accompagnant d’une Déclaration générale qui arguait de la référence à l’Islam en tant que religion d’État pour conserver des dispositions législatives et réglementaires discriminantoires à l’égard des femmes.
L’AFFD a publié un communiqué “exprimant sa fierté” et a félicité les militantes de la société civile dans la réussite de leur combat.
* Comme l’UGTT, les autres centrales syndicales (UTT, CGTT, OTT) ont fêté le 1er Mai, rappelant ainsi leur existence, les médias ayant tendance à ne parler que des activités de l’UGTT, incontestablement la centrale la plus puissante et réhabilitée par sa participation à la Révolution. Ce qui m’incite aujourd’hui à m’exprimer sur le sujet, c’est une déclaration faite par Habib Guiza, Secrétaire général de la CGTT et dans laquelle il regrette — entre autres difficultés, dont le droit des dirigeants au détachement — que son organisation “se trouve privée du prélèvement des cotisations d’adhésion sur les salaires”. Au contraire, j’ai toujours trouvé anormal ce prélèvement sur les salaires du fonctionnaire que j’ai été pendant près de 40 ans. Il y a eu un moment où je n’appréciais pas la conduite des responsables syndicaux — qui, par la suite, ont été exclus de la Centrale — sous l’un des régimes précédents, ou suite à des positions politiques contraires à mes convictions, mais malgré ma demande de démission (et de cesser le prélèvement sur mon salaire) cela m’a été refusé.
J’en suis resté aux jours sombres des années 50 où, alors jeune instituteur à Sfax, j’ai adhéré à l’UGTT et où les réunions syndicales se tenaient régulièrement, à cette époque, un timbre était apposé chaque mois sur la carte d’adhésion (parfois plusieurs mois à la fois selon les circonstances). Le fait d’adhérer n’était pas une simple formalité et donnait à chaque adhérent le droit de s’exprimer dans les réunions. Ce procédé du timbre mensuel était aussi en honneur au Parti communiste et, je crois, à l’USTT, mais c’était une autre époque !
Last but not least j’ajouterai que, si la pluralité syndicale a été acquise depuis la Révolution, et c’est un droit du citoyen comme l’est le pluripartisme, ce n’est pas une raison pour que certains syndicats, en certaines occasions et pour gagner des adhérents, lancent à tout vent des ordres de grève irréfléchis qui nuisent à l’économie du pays, cela, s’appelle du populisme…
* Maintenant que la Loi électorale est votée, que l’ISIE se met en place et que son président, Chafik Sarsar, a déclaré le 3 mai que les élections auront peut-être lieu vers la fin novembre, il reste à préparer un terrain favorable pour ces scrutins si importants et, comme l’exige la feuille de route, à réviser les nominations à tous les niveaux de l’Administration, dissoudre les Ligues de protection de la Révolution, deux conditions sine qua non si l’on veut un scrutin honnête qui puisse amener une Assemblée qui ne ressemblera pas à celle qui s’achève.
Quant aux mosquées, dont le ministre des Affaires religieuses vient d’annoncer que 90 d’entre elles sont encore aux mains des salafistes, il faut poursuivre rapidement leur reprise en main. Leur neutralité est indispensable, car les prêches des imams peuvent influencer le vote de leurs fidèles. Le temps presse…
Raouf Bahri