Un anniversaire dans la morosité

 

Par Raouf Bahri

 

 

La Tunisie a célébré cette semaine, pour la 4e année, la fête de la Révolution et de la Jeunesse, qui a été l’occasion de réunir au palais de Carthage les anciens militants historiques et les dirigeants des divers gouvernements qui se sont succédé depuis le 14 janvier 2011, ainsi que les familles des martyrs et des blessés de la Révolution.

Le président de la République a prononcé un discours très applaudi dans lequel il a rendu hommage à l’action du Quartet et des partis qui ont participé au Dialogue national, il a assuré que toute la vérité sera faite sur les assassinats des martyrs, mais il a aussi prévenu “qu’un travail harassant nous attend” pour remettre à niveau l’économie du pays, affaiblie par les grèves incessantes et a demandé la reprise du travail dans tous les domaines. Il a ensuite remis des décorations aux membres du Quartet et aux familles des martyrs Lotfi Naguedh, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.

La cérémonie a malheureusement été interrompue par les protestations des familles des martyrs et des blessés de la Révolution, invités à la cérémonie et qui croyaient qu’elles allaient toutes recevoir les décorations dues à leurs proches, ce qui n’était pas prévu pour cette cérémonie, devant ce désordre, BCE a achevé son discours et a quitté la tribune, mais, secondé par des responsables de Nidaa Tounes, notamment Mohsen Marzouk, son conseiller politique, il s’est mêlé à la foule des protestataires pour leur assurer que “La Tunisie n’a jamais oublié les sacrifices de ses enfants”. Dans une déclaration, Moez Sinaoui, porte-parole de la Présidence a assuré que “le palais de Carthage restera ouvert à tous les Tunisiens” car “nous comprenons la douleur des familles des martyrs et respectons leur droit de s’exprimer”.

Par ailleurs, les familles des martyrs du bassin minier ont aussi publié un communiqué réclamant “que la lumière soit faite sur ces évènements et que justice soit enfin rendue”. On voit bien, d’après toutes ces réclamations, que la Troïka a laissé tous ces problèmes sans solutions pendant quatre années, léguant à ses successeurs un lourd dossier dont la gestion lui revenait en priorité !

 

La constitution du premier gouvernement de la 2e République est le sujet principal de l’intérêt de toute la classe politique où chacun y va de ses pronostics, sachant que le temps est compté pour Habib Essid.

On comprend la difficulté de faire entrer une trentaine de noms dans le cadre limité d’un gouvernement qui, s’il ne peut pas se permettre d’être trop pléthorique, doit cependant permettre à chacun de ses membres d’être à même de concentrer son action sur la mission qui lui est confiée. Béji Caïd Essebsi a insisté sur la nécessité de faire participer au gouvernement le maximum de partis, tout en privilégiant les compétences et sans oublier les personnalités indépendantes qui peuvent apporter un plus à cette équipe qui va se trouver devant de grandes difficultés à tous les niveaux. Il importe de placer des hommes de confiance —et de valeur— à la tête des ministères régaliens, au sein desquels il sera nécessaire de ne confier les divers services qu’à des personnalités au-dessus de tout soupçon de copinage ou de mollesse. Il sera logique aussi de privilégier les partis qui ont donné leurs voix au camp démocratique lors des élections, ceux qui se sont abstenus n’auront à s’en prendre qu’à eux-mêmes, qu’ils aient eu peur de “se mouiller” ou pour toute autre raison, d’ailleurs certains d’entre eux ont déjà déclaré qu’ils se rangeront dans l’opposition. De toute façon une opposition honnête est toujours nécessaire pour éviter à la majorité de dévier de la bonne voie.

Le chef du gouvernement doit se hâter dans le choix de ses hommes parce que l’ambiance dans le pays est morose, les sujets brûlants ne manquent pas : grève des moyens de transport de personnes qui exaspère la population, grève de certaines grandes écoles, grogne des enseignants du secondaire et du supérieur, arrêt de l’extraction et du transport des phosphates, la principale ressource de notre économie —et on connaît trop bien les réactions du bassin minier, trop négligé depuis de longues années. Certes, le niveau de vie a fortement baissé, mais le gouvernement qui se prépare n’a pas non plus de “corne d’abondance” pour contenter tout le monde tout de suite.

 

A tout cela s’ajoutent les problèmes du terrorisme, intérieur et extérieur. Le plus urgent à régler est celui du kidnapping en Libye des deux journalistes tunisiens Sofiène Chourabi et Nadhir Ktari, qui s’est déroulé il y a, maintenant quatre mois et dont on ignore encore s’ils sont encore en vie et , si oui, où sont-ils détenus et par qui ?

J’ai eu l’occasion, le 11 courant, de regarder l’émission “A celui qui ose seulement” de Samir El Ouafi, toujours instructive, sur la situation en Libye. Il en résulte que l’ambassadeur tunisien Ridha Boukadi réside en Tunisie où il est “gelé” depuis quatre mois, et sans traitement depuis deux mois. Il est incompréhensible que le ministère des Affaires étrangères ne l’ait pas remplacé, laissant nos compatriotes résidant en Libye à l’abandon, surtout dans un pays fragile politiquement et imprévisible suite à ses divisions, alors que ce turbulent voisin nécessite au contraire l’envoi d’une équipe diplomatique dirigée par un ambassadeur de choc appuyé par une équipe de choix. D’autant-plus que Mehdi Jomâa a déclaré hier que “le plus grand danger pour la Tunisie sera la Libye, pays où les groupes terroristes qui y résident ont des projets contre la stabilité de notre pays” Souhaitons que cette nomination soit la première décision du nouveau ministère des AE. L’ex-ambassadeur s’est embrouillé lamentablement dans ses réponses à l’animateur de l’émission, quant à Skander Rekik, un ancien CPR, qui l’accompagnait —à quel titre— ? sur le plateau, il a fait preuve d’une nullité crasse et d’une mauvaise foi évidente.

Cette situation confirme que les plus grandes précautions doivent être prises quant au traitement de la menace, bien réelle, du terrorisme venant de ce pays, livré à des bandes terroristes qui se combattent entre elles, où aucune autorité officielle n’a réussi à s’imposer. Heureusement nos forces armées —Armée, Garde nationale, Police, Douane— “veillent au grain”, mais elles gagneraient  à être mieux équipées, surtout au cas où les bandes de Daech qui s’y regroupent tenteraient une opération contre notre pays. L’héroïsme de nos sécuritaires serait-il suffisant pour les arrêter ?

J’ajouterai seulement que l’ARP devrait se hâter de reprendre l’étude de la loi contre le terrorisme de façon que nos sécuritaires, parfois critiqués par certaines parties, se sentent soutenus par l’État dans le dur combat qu’ils livrent.

 

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