Et pourtant, ils croient en la démocratie !

Les Tunisiens croient-ils encore à la démocratie ? Cette question aurait pu paraître saugrenue voire provocatrice au lendemain de la Révolution tellement l’enthousiasme et la ferveur révolutionnaire étaient à leur comble. Tous les tunisiens étaient unis sur la capacité des forces politiques et de l’élite à construire un régime démocratique et à cueillir rapidement les fruits de la liberté à différents niveaux notamment politique, économique et social. Or depuis, les Tunisiens, et les populations des pays arabes en transition en général, ont connu les difficultés des périodes de transition avec l’éclatement du consensus post-révolutionnaire et ce dialogue de sourds qui s’établit entre les élites politiques et les différentes composantes du paysage politique. Désormais, le débat laisse place à l’invective et l’échange et la discussion s’éclipsent face à l’offense et à l’injure.

Parallèlement à la détérioration de la qualité du débat, il faut souligner l’apparition du monstre de la violence politique et particulièrement les assassinats programmés d’opposants pour la première fois dans l’histoire de la Tunisie. L’assassinat de Chokri Belaid en février dernier et du député Mohamed Brahmi récemment, ainsi que les autres projets déjoués par les forces de l’ordre, montrent que la Tunisie, qui a été épargnée tout au long de son histoire politique de ce phénomène, est en train de glisser sur une pente dangereuse qui peut mener à l’abîme. Ces assassinats ont choqué les Tunisiens qui sont sortis par milliers dans les rues pour dénoncer ces crimes abjects et rappeler leur attachement à une vie politique pacifiée.

La Tunisie connaît depuis l’assassinat du député Mohamed Brahmi une grave crise politique avec le départ de l’ANC des députés de l’opposition et leur demande de la démission du gouvernement et de la fin des travaux de l’ANC. Cette crise est loin d’être résolue en dépit des efforts d’intermédiation de l’UGTT, de l’UTICA, de la Ligue des Droits de l’Homme et l’Ordre des avocats. Cette crise politique et la difficulté de parvenir à un accord, ne font que renforcer l’incertitude et l’anxiété quant à l’avenir de la transition. Les doutes sur la situation politique ont été renforcés par les difficultés économiques. En effet, la Tunisie connaît depuis quelques mois une importante dégradation de la situation macroéconomique qui a été à l’origine d’une baisse de la valeur du dinar et d’une augmentation de l’inflation. Par ailleurs, la croissance reste faible et fragile et ne permet pas une forte création d’emplois afin de faire face au chômage de masse, particulièrement auprès des jeunes diplômés.

Ainsi, l’horizon de la transition est assombri par le risque terroriste, la crise politique et une détérioration de la situation économique. Ces nuages sont à l’origine d’un grand désarroi et d’un grand désenchantement sur l’avenir d’une Révolution qui montre de jour en jour son incapacité à répondre aux aspirations de liberté, de dignité et de justice. L’inquiétude est telle que certains n’hésitent plus à exprimer leur nostalgie du régime déchu et du contrat social qu’il leur proposait du marchandage modernisation en contrepartie des libertés.

Dans ce contexte, la question de la croyance des Tunisiens dans la démocratie trouve sa pertinence et n’est plus superflue. Il s’agit de savoir si les rêves et l’utopie démocratiques nés avec le Printemps arabe n’ont pas été emportés par des lendemains qui déchantent.

L’enquête effectuée à intervalles réguliers depuis quelques mois par The International Republican Institute permet de donner quelques éclairages à ce questionnement. Les résultats du dernier sondage effectué par cet institut entre les 18 et 30 juin 2013 sont de ce point de vue très intéressants et permettent de donner quelques éléments de réponse à cette interrogation. D’abord, les Tunisiens considèrent que les choses ne vont pas dans le bon sens et le nombre de personnes qui le pensent ne cesse de croître passant de 30 à 77% des personnes interrogées entre janvier 2012 et juin 2013. De même, le nombre de personnes qui pensent que la Tunisie évolue dans le bon sens sont en train de dégringoler de manière rapide en passant durant la même période de 62 à 19%. Dans cet échantillon, près de 80% pensent que la situation économique n’est pas bonne contre 41% en janvier 2012. Par ailleurs, plus de 39% contre 62% en janvier 2012 des tunisiens estiment que leur situation économique va s’améliorer dans le futur. 

Est-ce pour cela que les Tunisiens ont perdu confiance en la démocratie ? La réponse est négative et en dépit de ces atermoiements, leur confiance dans la démocratie n’a pas faibli. En effet, 46% d’entre eux considèrent que la démocratie est le meilleur régime politique. Et, lorsque la question devient plus pressante et on leur demande leur préférence entre une Tunisie prospère mais avec un système politique autoritaire et une Tunisie instable mais gérée par un régime démocratique, le choix des Tunisiens est sans ambiguïté et va vers la démocratie. Certes, ce choix n’est plus aussi fort qu’il l’était en janvier 2012 (70%) mais reste majoritaire (55%).

Alors dans ce contexte, quels sont les maux de la démocratie naissante en Tunisie ? Les Tunisiens critiquent les partis et soulignent le fait qu’ils sont plus intéressés par le pouvoir que par la préparation d’alternatives claires pour le pays. Ils estiment également que l’intérêt des partis se limite à Tunis et qu’ils s’investissent peu à l’intérieur du pays. Aussi, à près de 70% ils considèrent que les problèmes de l’emploi et du développement doivent être au centre des préoccupations des partis. Par ailleurs, ils rejettent la fragmentation du paysage politique et considèrent à près de 50% que le paysage politique doit se limiter à un nombre limité de grands partis. Enfin, le sondage montre une nette préférence pour un système présidentiel fort (50%) contrairement aux premiers mois de la Révolution où la préférence allait pour un gouvernement mixte.

Clairement, la crise, les difficultés économiques et la montée du terrorisme n’ont pas brisé la croyance et l’adhésion des Tunisiens dans la démocratie. Mais, cette démocratie doit être réinventée et surtout répondre à l’immense espérance née avec la Révolution.

Hakim Ben Hammouda

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