Le choix des armes a-t-il un avenir en Tunisie (1) ?

La grande inquiétude qui pèse sur la transition démocratique est liée à la crainte de la voie des armes que certaines franges du salafisme ont déjà choisie et qui pourrait faire basculer le printemps tunisien, à l’instar de la Libye ou de la Syrie, dans un bain de sang.

Il faut souligner que le printemps arabe a été une véritable aubaine pour le salafisme dans le monde arabe. En effet, les prisons se sont ouvertes pour des milliers de militants, dont une partie était des revenants d’Afghanistan et qui étaient emprisonnés et fortement réprimés du temps de la dictature. Par ailleurs, beaucoup de militants de ce mouvement et qui ont trouvé refuge dans certains pays européens ou dans les pays du Golfe ont pu rentrer en Tunisie après le 14 janvier 2011. Mais cette nouvelle ère de liberté a permis aux salafistes de reconstruire leurs organisations et d’entamer une forte présence dans l’espace public. Une apparition tout aussi fulgurante que surprenante d’un courant considéré jusque-là comme étranger à la culture tunisienne et au sunnisme modéré pratiqué.

Aussi surprenante soit-elle, la présence du salafisme en Tunisie n’est pour autant pas nouvelle et remonte au début des années 19801. Ces mouvements proviennent d’une scission au sein de l’islam politique classique et des mouvements des Frères musulmans. Cette aile radicale de l’islam politique sera renforcée par le retour d’Arabie Saoudite d’un certain nombre d’adeptes qui ont reçu leur formation chez Ibn Baz, l’ancien mufti et l’un des leaders du wahhabisme. Lors de cette première période, la dâawa salafiste était plutôt d’ordre idéologique et appelait les musulmans à un retour à la tradition du salaf, c’est-à-dire à une pratique prétendue identique à celle du temps du prophète et de ses compagnons et qui constituerait une alternative à la crise profonde que traversent les pays musulmans. Mais de l’esprit des premières années de l’islam, ils ont gardé une conception littérale du Coran et un refus de toutes les tentatives d’interprétation libérale de l’islam.

L’invasion de l’Afghanistan par l’URSS va constituer le véritable tournant dans l’histoire toute récente du salafisme. En effet, plusieurs groupes salafistes vont s’engager dans le djihad et venir en aide aux groupes islamistes afghans dans leur lutte contre l’ennemi «mécréant»2. Cet appel au djihad va bénéficier dans le contexte de la guerre froide de l’appui des puissances occidentales et particulièrement des États-Unis qui vont armer ces groupes et les initier au maniement des armes, y compris les plus sophistiquées. Ces groupes vont également bénéficier des largesses financières des monarchies du Golfe qui vont dépenser sans lésiner pour leur venir en aide. D’ailleurs, certaines factions liées aux monarchies du Golfe, comme la famille Ben Laden en Arabie saoudite, ne vont pas hésiter à s’engager dans cette guerre sainte contre les «ennemis de Dieu». Cette guerre d’usure et l’essoufflement de la «patrie des travailleurs» seront à l’origine du retrait d’une armée rouge épuisée par cette guerre en territoire inconnu.

Le retrait d’URSS d’Afghanistan en 1988 sera perçu par beaucoup d’analystes comme le dernier acte d’un empire en pleine décomposition. La chute du Mur de Berlin, quelques mois plus tard, annoncera officiellement la fin de la version autoritaire de l’utopie du monde meilleur. Mais ce retrait sera célébré par les islamistes et plus particulièrement par les groupes salafistes comme étant une grande victoire militaire.

En fait, l’Afghanistan aura été le Cuba de l’islam politique et contribuera à forger le choix des armes dans l’imaginaire politique du salafisme. Le djihad va devenir progressivement un élément essentiel dans l’univers politique du radicalisme religieux. Ces factions radicales vont contester le choix de la lutte politique emprunté par l’islam politique classique, particulièrement le mouvement des Frères musulmans, et vont considérer que la guérilla armée est une voie plus rapide et surtout plus efficace dans le renversement des régimes nationalistes et laïcs dans le monde arabe. La «victoire» des Frères en Afghanistan est considérée comme étant une illustration de la justesse de ce choix et contribuera à forger ce nouvel imaginaire politique qui fera de la violence armée le seul moyen pour renverser les gouvernements «impies».

Dans les années 1990, le choix des armes du salafisme contre les «ennemis de Dieu» trouvera dans la guerre civile en Algérie et dans les guerres des Balkans un nouvel espace de déploiement. Les anciens d’Afghanistan vont se retrouver dans ces nouveaux lieux de combat et de djihad.

Parallèlement à ces guerres, avec leurs lots de destructions et de morts, ces champs de bataille vont contribuer à renforcer le mythe autour de ces guérilleros internationalistes du djihad, de leur bravoure sur le champ de combat et de leur quête de la Chahada ou du martyr pour aspirer au royaume des cieux. Mais le rêve d’extension du djihad, tout comme celui de créer plusieurs Afghanistan dans le monde arabe, s’est heurté à la fermeté des pouvoirs en place et à leur intransigeance dans la lutte contre ces formes radicales de l’islam politique.  

1 . Voir le dossier de Hanène Zbiss, Les salafistes en Tunisie : qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Réalités, n°1355, du 15 au 21 décembre 2001.

2 . Voir notamment sur cette courte histoire du salafisme : Bobby Gosh, The rise of the salafis, Time Magazine, october 8th, 2012.


 

Hakim Ben Hammouda

 

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