Par Mustapha Attia
Mon conseil d’hygiène mentale pour cet été ? Prendre congé des politicards, syndicalistes et «chroniqueurs» sur canapé à qui les scandales n’ont rien enseigné. C’est un exercice à la fois instructif, passionnant et, d’une certaine manière, réconfortant. Ne haussez pas les épaules. Et surtout pas tout de suite, attendez un peu. Ne me reprochez pas de m’essouffler et de ne plus donner que des fonds de tiroir !
La prudence exige de ne pas se décider trop vite sur mes intentions. Bien sûr, la nostalgie est devenue la première obsession des Tunisiens en ce temps de désarroi. Mais personnellement, je ne crois dans la passion pour le passé qu’une propension à croire à une nouvelle Tunisie qui s’inspire de ses racines. La mémoire nous disait Freud, est «un acte d’imagination». Nous réinventons nos souvenirs tout au long de notre vie. C’est vrai que les anciens ne sont pas des modèles, ni des géants inégalables nous offrant leurs têtes et leurs épaules. Mais parfois, il faut saisir dans sa mémoire une belle image sur laquelle il faut s’arrêter puis zoomer et ouvrir grand son esprit et ses poumons. Suivez-moi alors : à la fin des années soixante, le courant «Attaliaa al-adabia» ( l’Avant-Garde littéraire) était devenu un phénomène prépondérant qui, en déconstruisant les normes établies, avait ébranlé toute la scène culturelle. Il a également suscité l’intérêt du public ordinaire et dérangé sérieusement les pouvoirs publics. On eût dit des eaux dormantes d’un lac marécageux secoué subitement par la chute d’un énorme pavé. Comme tous les phénomènes, et dans tous les domaines, le mouvement se manifesta brusquement, sans préambule aucun, d’autant plus que ses feux furent attisés par des facteurs tant intrinsèques qu’extrinsèques dont le plus important fut incontestablement le mouvement quasi révolutionnaire de mai 1968, en France, et toutes les conséquences qui s’en sont ensuivies dans plusieurs pays. Tout le monde croyait donc que ce mouvement littéraire bouillonnant n’était qu’une goutte de sang chaud qui ne tarderait pas à s’éteindre sous l’effet des vents impétueux. Mais le choc qu’il produisit tant dans les milieux conservateurs qu’au niveau des appareils de l’État, lui permit paradoxalement de perdurer et de se prolonger plus longtemps qu’on ne l’avait cru.
Certains journaux de l’époque se sont empressés alors d’interdire les créations de ce mouvement, pire encore, certains esprits fanatiques sont allés jusqu’à brûler les œuvres de Ezzedine Madani, plus particulièrement son roman expérimental, «L’homme zéro» (Al Insen Essefr).
C’est alors qu’au fil des ans, ce mouvement littéraire s’est transformé en porte-parole non déclaré officiellement de l’opposition sociale, culturelle et politique. C’est ce qui a poussé les opportunistes au pouvoir à vouloir endiguer son emprise et à éradiquer son enthousiasme.
Ce fut alors la débandade du groupe et l’extinction de son souffle créateur au sein d’une scène très normative sinon traditionnelle. «Il ne faut pas laisser les intellectuels jouer avec les allumettes», ironisait Jacques Prévert. Devant l’horreur de ce qui s’est passé, Bourguiba, qui avait bien lu Gramsci et sa célèbre citation «le combat politique se gagne d’abord culturellement» et croyait fermement que la seule bataille qui vaille dans le monde porte essentiellement sur le rôle de l’éducation et de la culture, se demanda pourquoi son pays a pu atteindre un tel degré d’obscurantisme. Pour lui, nul doute que les racines du mal sont à chercher dans le radicalisme. Il s’était permis de les déterrer pour les mettre en lumière en ordonnant à Ahmed Ben Salah, Idriss Guiga, Mahmoud Messaâdi et Chadli Klibi de réformer l’enseignement et la politique culturelle dans le pays.