Un cauchemar nommé « tasfir »

Tandis que la pression russe s’accentuait sur les villes ukrainiennes et que les sanctions occidentales pleuvaient sur la Russie et sur le président Poutine, ses proches collaborateurs et oligarques, le président ukrainien, devenu en quelques jours « le héros de la liberté » (titre d’une couverture du journal français « Le Point »), a lancé un appel, pour le moins surprenant ici en Tunisie, aux volontaires étrangers, d’abord européens puis ceux du monde entier, pour venir combattre en Ukraine. Surprenant parce que le souvenir, ou plutôt le cauchemar des opérations secrètes d’enrôlement et d’envoi de milliers de jeunes Tunisiens en Syrie pour combattre l’armée syrienne et servir de chair à canon, est encore vivace et douloureux. Les filles ont, quant à elles, été recrutées pour prendre soin des « combattants » et s’offrir à eux. Elles étaient là pour le « djihad ennikeh ».

Cet épisode noir de la dernière décennie est une plaie encore ouverte dans la mémoire des Tunisiens et des familles qui, impuissantes, ont vu leurs fils et leurs filles changer de mode de vie, de mode de pensée et se radicaliser jusqu’à sacrifier leurs vies et leur avenir. Ce triste épisode restera à jamais gravé dans l’histoire de la Tunisie et la mémoire des Tunisiens qui ne feront leur deuil que lorsque toute la vérité sera faite sur les responsables de ces crimes, leurs commanditaires et leurs organisateurs. Cette vérité verra un jour la lumière grâce à l’abnégation et la détermination de Leïla Chettaoui et Fatma Mseddi, les pionnières, deux députées qui se sont attelées, dès la chute de la Troïka, à faire toute la lumière sur cette affaire et à en dévoiler les responsables. Elles ont été menacées, persécutées, réprimées, mais aujourd’hui cette affaire est entre les mains de la justice et Fatma Mseddi a déjà été convoquée pour témoigner et présenter toutes les preuves dont elle dispose.

Alors, l’appel du président ukrainien choque, ici, en Tunisie. D’autant qu’il a réveillé les vieux démons « fréristes » après que les Tunisiens les ont chassés et éloignés de leur terreau : l’arène politico-religieuse publique, politique et médiatique.

Très vite, l’imam et ancien ministre des Affaires religieuses dans les gouvernements Jebali et Larayedh de la Troïka, Noureddine Al Khademi, a fait sa réapparition dans une vidéo publiée sur sa page facebook pour parler de la crise ukrainienne du point de vue de la «Charia ». S’adressant à ses fans islamistes et tout en tournant autour du pot, l’imam se donnera beaucoup de peine pour leur faire comprendre que « Dieu nous a ordonné de combattre, même malgré nous, quand la guerre menace des intérêts vitaux, notamment énergétiques, comme celle qui est menée contre l’Ukraine ». Une nouvelle fatwa qui montre que l’appel du président ukrainien Zelensky a été reçu cinq sur cinq par les Frères musulmans qui vouent une haine viscérale au président syrien et à son allié Poutine qui l’a aidé à vaincre l’organisation terroriste Daech. L’imam a parlé à demi-mot parce qu’après le 25 juillet 2021 instituant l’Etat d’exception et la dissolution de l’ancien Conseil supérieur de la magistrature en lien étroit avec le mouvement Ennahdha, les tribunaux tunisiens se sont saisis du dossier compromettant de l’envoi des jeunes Tunisiens pour combattre en Syrie et les Tunisiens sont impatients d’en connaître le dénouement.

La guerre, avec toutes ses horreurs, c’est de la politique faite autrement pour finir autour de la table des négociations. Ce pourquoi la guerre a ses règles et son éthique, les armées régulières ont leurs codes et se respectent entre elles dans les pires moments des combats. Ce n’est pas le cas des mercenaires et des terroristes. Qui peut oublier les crimes crapuleux commis par Daech en Irak et en Syrie ? Qui ignore que ces criminels sans scrupules sont des mercenaires à la solde des pays qui les financent pour faire le sale boulot ? Et quel soulagement à la lecture des propos du chef d’état-major des armées Britanniques, l’Amiral Tony Radakin, qui déclarait à la BBC, en réponse au président ukrainien, qu’il est « illégal et inutile pour les britanniques, armée et population, d’aller combattre en Ukraine ». Pourquoi donc ce serait légal et utile pour les Tunisiens ? D’autant que, d’après des responsables américains cités par « Courrier International », la guerre en Ukraine se fait aussi (et déjà) par mercenaires interposés. Du côté de Kiev, les informations parlent de 20 mille volontaires internationaux venant de 52 pays qui se seraient manifestés auprès de la Légion étrangère créée à cet effet. Moscou aurait fait appel à son tour à des mercenaires syriens rompus à la guérilla urbaine.

Ceci dit, le monde entier soutient les Ukrainiens et les civils fuyant leur pays. Toutes les guerres, toutes les agressions armées devraient être condamnées. Mais quand il s’agit de défendre sa terre, son pays, son indépendance, sa sécurité, on parle alors de guerre juste et prendre les armes devient un devoir, un honneur pour chaque citoyen en âge de combattre. Espérons que les armes se tairont et que les Ukrainiens reviendront bientôt chez eux. Nos pensées vont aussi aux réfugiés palestiniens, syriens et tant d’autres dont les puissances occidentales qui se sont alliées de manière spectaculaire contre Poutine, ignorent jusqu’à l’existence et les souffrances ; les médias n’en parlent plus, les  organisations internationales les délaissent et la Cour pénale internationale ne croit pas utile de juger et condamner leurs agresseurs.

La crise ukrainienne ne s’arrêtera pas là, elle a entraîné une autre guerre, aussi féroce que mondiale, elle est économique, elle n’épargnera aucun pays du fait de l’interdépendance des économies nationales régies par les règles de la mondialisation. Les prix du pétrole, du gaz et du blé atteignent des niveaux record. Pour la Tunisie, les prochains jours s’annoncent encore plus compliqués et problématiques.

Saurons-nous ranger les armes de destruction massive qui ont ruiné la Tunisie —leurs dépositaires se reconnaîtront— et nous armer de courage, de patience et de labeur pour traverser la tempête qui s’annonce ?

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