Nous avons un parti majoritaire qui agit comme un parlement bis. Le majles echoura du parti Ennahdha décide à la majorité et ses décisions s’imposent au Premier ministre, à tout le gouvernement et aux députés nahdhaouis. On peut rétorquer que le fonctionnement de cette choura est on ne peut plus démocratique, seulement ces gens, au lieu de considérer l’intérêt de la nation sont exclusivement animés par des intérêts partisans et mettent en avant leurs choix idéologiques au détriment de toutes les autres options. C’est pourquoi nous avons parfois l’impression que le gouvernement n’est pas concerné par les problèmes quotidiens des Tunisiens, comme le coût de la vie ou le développement des régions défavorisées. Sa seule préoccupation semble être le fait de perdurer au pouvoir et «d’islamiser» le pays comme les idéologues de ce parti le prétendent.
En réalité, nous sommes gouvernés par des gens imprégnés par un Islam politique pur et dur. Les objectifs de cette idéologie sont, à terme, la disparition de tous les partis démocratiques. Cette hypothèse n’est pas une vue de l’esprit, c’est exactement ce qui est advenu en Iran et nous vivons à présent le scénario iranien. Les mêmes milices qui sèment la terreur, l’alliance initiale avec des partis démocrates — comme celui de Barzagan et de Bani Sadr pour asseoir leur pouvoir — et on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec messieurs Marzouki ou Ben Jaaffar. On répond toujours : «Nous ne sommes pas des chiites, nous n’avons pas de clergé…». Mais nous constatons aujourd’hui l’importance que prennent les imams, leurs prêches incendiaires qui s’immiscent de plus en plus dans la vie politique et sociale avec une violence parfois qui frise un dérèglement mental avéré. On veut créer un conseil islamique propre à édicter des fatwas qui concurrenceraient obligatoirement les lois républicaines.
La structure du parti Ennahdha nous rappelle le centralisme démocratique cher à l’Union soviétique et à tout parti communiste qui se respecte. On débat au sein du parti, puis la ligne majoritaire est appliquée sans faille. Et c’est cela donne des dictatures, car ce système ne laisse aucune place au changement. Et une majorité peut imposer à une minorité, aussi agissante soit-elle, des options idéologiques passéistes et archaïques. Il ne faut pas chercher ailleurs les retards pris dans la rédaction de la future Constitution et y voir la volonté d’une majorité de ce majles echoura d’imposer la charia et la prééminence de l’Islam. D’ailleurs, cette méthode de gouvernement entraîne la paralysie du gouvernement et celle de Hamadi Jebali, qui se retrouve empêché de gouverner puisque les décisions dernières ne lui appartiennent pas, car il est soumis à la loi de la majorité. Au fil des mois, la choura du parti Ennahdha est devenu le véritable lieu du pouvoir qui dirige notre pays.
La logique de ce système est que ses membres sont condamnés à s’unir, car ils savent que la moindre faille peut le faire imploser. On a observé ce phénomène en Union soviétique où Gorbatchev, avec sa volonté de réformes, a fait exploser le système. Le moindre signe de faiblesse dans une dictature signe la mort de cette dictature. Regardons avec quelle cruauté et quelle violence sont réprimées les manifestations à Bahrein.
On a beaucoup parlé de la visite de ce cheikh koweïtien, venu véhiculer une mentalité aberrante et archaïque qui a indigné beaucoup de Tunisiens. Qui aurait pensé que la Tunisie, ce pays trois fois millénaires, aurait accueilli un jour ce genre de personnage ? Quelle jouissance doivent éprouver ces cohortes de Saoudiens et autres Qataris paradant dans la Tunisie de Bourguiba, accueillis avec une obséquiosité outrageuse par nos responsables.
Oui, la Tunisie a bien changé. Elle semble avoir été livrée une extrême servitude, celle d’un nouveau colonialisme, culturel cette fois, le pire qui soit, car il est capable d’entrer au plus profond des consciences pour les pervertir et les altérer à jamais. Qu’est ce colonialisme culturel qui se met en place ? Sous le prétexte que nous sommes musulmans on veut nous imposer un seul Islam proposé par le wahhabisme et les Frères musulmans. C’est faire fi de toutes les strates culturelles qui ont façonné l’identité tunisienne et forgé un Islam de tolérance et de raison, dont nous sommes fiers et qui nous inspire une spiritualité tranquille et féconde.
De l’avis de tous, les semaines qui viennent seront décisives pour l’avenir de notre pays. Soit les islamistes, dans un sursaut national, sortiront de leur autisme culturel d’un autre âge et accepteront de se donner comme seule priorité l’intérêt de la Tunisie, soit ils s’enfonceront dans leur entêtement suicidaire en plongeant notre pays dans le désordre et le chaos.
Par Foued Zaouche*
* Artiste-peintre et portraitiste
www.fouedzaouche.com