Les mots n’ont jamais été de simples bulles de savon, surtout lorsqu’ils sont prononcés par de hauts responsables au pouvoir. Au sommet, nos dirigeants ont semé, dans une opinion affolée, l’inquiétude et l’hystérie polémique en qualifiant l’attaque de Djerba de «crime lâche», se gardant, en l’occurrence, d’évoquer une attaque terroriste. Mais avaient-ils le choix ? Aujourd’hui, le registre lexical a changé : le pouvoir appelle au calme. Car les pressions exercées par quelques puissances étrangères, protectrices non déclarées de l’islamisme, ont fini par le mettre en position défensive. Il faut pourtant nommer l’horreur. Selon la définition la plus répandue, le terrorisme se caractérise par «l’emploi systématique de la violence pour atteindre un but politique, idéologique ou religieux». Ce qui est très précisément la logique à laquelle obéit l’attaque de Djerba.
Dans des circonstances pareilles, je suis intimement convaincu qu’il faut considérer les mots comme des armes. On peut même parler de guerre, où l’on tire des mots au lieu de balles. Mais il ne faut jamais se laisser séduire par l’apparence ou l’illusion, car la déception n’en est que plus amère. Le pays a surtout pris la mesure du poison de la surenchère et des mauvais calculs, ce qui d’ailleurs n’échappe pas aux observateurs avertis. Une situation qui nous rappelle, en ces temps troubles, que la vérité ne peut s’écrire avec la plume de l’ambiguïté trempée dans l’encrier de la confusion. Le flou du diagnostic, on le sait, ne permet jamais les bonnes solutions même s’il pousse certains responsables machiavéliques à se rassurer à bon compte. Ecœurés, les citoyens se sont mobilisés, persuadés qu’on ne leur dit pas la vérité. C’est comme si deux mondes, en rupture de compréhension, fonctionnaient en parallèle. Que l’on sache, en effet, et quels que soient les arguments officiels et officieux qui voudraient justifier le contraire, que l’attaque de Djerba est bien une attaque terroriste. Nous considérons en effet que, pour un responsable politique conscient, qualifier la fusillade de Djerba d’attaque terroriste ne revient pas à intensifier la peur et le chaos mais bien à augmenter la liberté d’informer, et la crédibilité pour y parvenir. Cette liberté, nous devrons veiller aussi à la protéger des pressions intérieures et extérieures qui ont pris de nouvelles formes ces derniers temps. Mais notre peuple est-il à ce point infantilisé qu’il ne peut supporter la vérité ? La leçon à tirer est claire. Pour abattre le mur de la défiance, les responsables politiques au pouvoir doivent prendre le citoyen pour ce qu’il est : un être responsable, capable de raisonner, plutôt qu’un sujet passif auquel ils dicteraient sa conduite.
Ce qui me frappe, comme observateur sensible, c’est la renonciation à ce qui est non seulement notre crédibilité, mais aussi à ce qui est probablement l’arme la plus efficace pour gagner la bataille de la communication. C’est en identifiant tranquillement les évènements et leurs circonstances, non en les niant, qu’on a une chance de pouvoir convaincre notre peuple et nos partenaires étrangers. Ce qui est très difficile à supporter dans ce monde globalisé, ce n’est pas tant les menaces terroristes que la manipulation politicienne, qui enrôle de force les pouvoirs dans un combat perdu d’avance. Cette règle est terrible, car elle explique parfaitement que la valeur d’une prise de position dépend du risque que l’on prend au passage.
Dans la communication en temps de crise, la responsabilité est un métier qui s’apprend. Plus un responsable est compétent et expérimenté, meilleur il sera.
Et pour conclure : troublante aura été la complaisance de plusieurs médias aveuglément «alignés» et qui semblent s’habituer à cette manipulation quand ils ne la célèbrent pas.