Les élections se succèdent et la question fondamentale est sans cesse repoussée comme une Odyssée qui n’en finirait pas de ne pas se poser. Il va sans dire que le danger serait de considérer que tel problème est plus préoccupant qu’un autre. Mais il faut être totalement déterminé dans la volonté de lutter, avec la conscience claire, pour résoudre un problème qui menace dangereusement le pays… Un fléau encore sans remède. Une souffrance sociale hors de portée. Il fallait être bien déconnecté des réalités de notre pays pour ne pas comprendre le sentiment d’injustice qu’éprouvent nos jeunes. La Tunisie est le pays qui maltraite le plus sa jeunesse. Plusieurs citoyens, âgés de 18 à 30 ans, ne sont ni en emploi, ni en éducation, ni en formation professionnelle. Ils sont au chômage, désœuvrés, désespérés, à la dérive. Loin du petit jeu d’analyse sémantique auquel se prêtent les braillards avec la complicité moutonnière de quelques médias et qui apparaît bien dérisoire au regard de la gravité de la situation, les inégalités se sont creusées, la pauvreté s’est accentuée, les pathologies sociales se sont multipliées. Être jeune dans ce pays n’épargne plus du désespoir d’être sans avenir. La situation est critique, en effet, et il est désormais impossible de l’ignorer. Les rapports se succèdent, dans une sorte d’accumulation cauchemardesque, pour dire la gravité des menaces, leur étendue, l’irréversibilité des dommages et des événements extrêmes. Les principaux ciments qui assuraient la cohésion de la société se sont désintégrés : élargissement des fractures, montée de l’individualisme, panne d’intégration de nouvelles générations et déconnexion des élites. En ignorant ce problème et sa dimension sociologique, j’allais dire existentielle, tous les gouvernements successifs se sont obstinés dans une escalade qui n’a réglé aucun des problèmes de la jeunesse. Tel constat n’a pu être compris des élites politiques, prisonnières d’un angélisme qui confine à l’aveuglement. Le meilleur carburant du mécontentement, «c’est le dédain des pouvoirs à l’égard de ces jeunes citoyens qui n’ont pas grand-chose à perdre», avertissait le célèbre politologue américain Francis Fukuyama. La colère serait d’abord motivée par le sentiment de ne pas être entendu à l’heure des horizons bouchés. Face à ce qui apparaît aujourd’hui comme autant de signes avant-coureurs, surtout dans un domaine aussi fondamental, il y a eu un aveuglement, une défaillance majeure. Une nouvelle génération désespérée, misérablement identitaire et néo-isolationniste se fait jour. Elle ne recule devant aucun danger, elle accumule les contre-vérités, fait l’apologie de l’absurdité. L’histoire contemporaine de notre pays démontre que, partout où s’est développée la méfiance à l’égard de l’État, le mécontentement des jeunes s’est trouvé capté par les extrémistes, surtout que les mécontents peuvent être attirés par la solution du pire qui leur est «vendue» comme la plus efficace. La vocation première d’un Etat démocratique est de protéger ses citoyens, à commencer par les plus jeunes, non seulement des risques qu’ils encourent, mais de tout ce qui, de près ou de loin, est dangereux et destructif. Et pour concrétiser efficacement cette vocation, nos responsables doivent prendre chaque jeune pour ce qu’il est : un citoyen responsable, capable de raisonner, plutôt qu’un sujet passif auquel ils dicteraient sa conduite. Il faut passer à des réformes pour casser les structures monopolistes et faire preuve d’audace dans ce domaine, car le temps n’est plus aux atermoiements ou aux «solutions» populistes, qui ne sont que des miroirs aux alouettes.
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