Un dilemme vertigineux !

A  la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’humanité a été confrontée à plusieurs crises comme celles de la guerre froide, de la nourriture, de l’énergie et de la pauvreté. Mais de telles crises ont sans doute limité la capacité des pays et des organisations mondiales à trouver des solutions efficaces et durables à l’ensemble des problèmes posés, même quand ces problèmes sont extrêmement clairs. Par conséquent, les idéologies modernes, qui n’ont cessé de brandir les slogans de la délivrance totale et qui ont assumé l’édification de l’État moderne et laïc, la détermination des traits de la société développée et la garantie de l’égalité, se sont engouffrées dans une crise accablante. Ces idéologies n’ont plus le même rayonnement. La «magie» d’antan n’opère plus. Elles ne sont plus que les caricatures d’elles-mêmes. Le «nouveau monde» n’est pas devenu une mer d’huile par la grâce de ces idéologies. Il demeure un océan tumultueux où seuls les plus forts pourront naviguer tranquillement.
Cette évidence a conduit plusieurs chercheurs occidentaux à exploiter le naufrage des idéologies de façon éminemment religieuse, donc mystificatrice. Dans ce chaos affreusement tragique, les recherches de ces dernières années ont remis la question religieuse sous les projecteurs, focalisant sur la nécessité d’analyser ce phénomène et de s’y intéresser.
Si les années cinquante et soixante pouvaient être considérées comme les années de confiance en les idéologies modernes et leur aptitude au développement et à la délivrance, les quatre dernières décennies ont enregistré, quant à elles, le retour en force du sacré. Ainsi, après une période de positivisme qui a presque estompé le domaine religieux comme centre d’étude et d’intérêt, les chercheurs redécouvrent le sacré à tous les niveaux. Et, tandis que les études sur le terrain, après la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à la fin des années soixante-dix, étaient orientées presque intégralement à prouver la déperdition de la religion, nous avons remarqué que les recherches menées en Occident, depuis le début des années quatre-vingt, tendent à conforter la présence religieuse sur toute l’étendue de l’espace social en admettant que le retour de la religion renvoie surtout au vide spirituel et moral de notre temps. Cette mutation, d’une position qui cherche à confirmer la disparition de l’intérêt religieux vers une nouvelle position qui tend à concrétiser sa diffusion d’une manière qui constitue un défi à la conscience critique, déjà essoufflée au point de ne plus donner que des «fonds de tiroir», a produit des formes pathologiques de la religion et son instrumentalisation par des formes non moins pathologiques de la politique populiste. Cette situation pose un problème de taille : l’effet miroir! Comme souvent dans l’histoire, à la radicalisation des idéologues répond celle des religieux.
A-t-on atteint le «pic idéologique» ?, se demandent tous ceux qui ont le sens de la formule partagée : pic idéologique comme pic épidémique, c’est-à-dire le point culminant au-delà duquel commence le déclin.
Comme les marxistes, les socialistes, les centristes et les démocrates libéraux, les religieux ont un système global d’interprétation du monde et sont persuadés de détenir les clés de la marche de l’histoire. Pourtant, la religion, comme l’idéologie, n’est ni une bénédiction ni une malédiction. C’est un état de fait que les événements, les contraintes et les opportunités portaient, tous, en germe et ses adversaires eux-mêmes, se meuvent dans son champ. Rien n’a changé, hélas, depuis que le philosophe néerlandais Didier Erasme observait au quinzième siècle : « L’esprit de l’homme est ainsi fait que le mensonge a cent fois plus de prise sur lui que la vérité». Le danger serait de considérer que tel ou tel mensonge est plus préoccupant qu’un autre.

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