Comme à la fin d’un film d’horreur, les retombées néfastes d’une décennie de braise, orpheline de la «révolution» kidnappée, ont survécu. Elles sont couvertes de plaies, laissant derrière elles un champ de ruines.
« Toutes les révolutions sont des échecs, mais elles ne sont pas toutes le même échec», avertissait George Orwell.
Seule certitude : notre pays, avec ses turbans bénis, ses cons en sursis, ses donzelles braillardes, ses brebis galeuses, est en guerre contre lui-même. Le niveau du débat s’est affaissé entre l’indignation parfois hystérique des citoyens et l’indifférence à la réalité des «élites» politiques au pouvoir et à l’opposition. On n’argumente plus ; on crie et on ment ; l’anarchie totale pointe son nez. Ces réactions sont si virulentes que le citoyen ordinaire a du mal à démêler la vérité de la fiction. Il y a des limites à ce que l’opinion peut digérer. Les Tunisiens en ont assez de cette cacophonie, elle les pousse à l’indifférence. On est arrivé à un point où le dialogue est tellement éloigné des faits, les gens s’étant construit une telle fixation autour de leur peur qu’ils ne parviennent plus à changer d’opinion après avoir constaté les faits et les avoir pris en compte !
Fallait-il le dire ainsi, et à ce moment précis, surtout que l’heure est désormais aux démagogues populistes, aux inquisiteurs extrémistes ? Ils nous disent ce qu’il faut dire et penser sous peine d’instruction morale ou d’exécution sur les réseaux sociaux.
Dire cette évidence vous exposera à une campagne de haine : aujourd’hui, l’ignorance ne cesse de faire des progrès et les tentatives d’expliquer et de repérer les bifurcations finissent par se perdre dans le flou ou l’arbitraire. Non, ce n’est pas encore la psychose. Mais on sent bien quand même, peu à peu, monter l’angoisse. Il nous faut, malgré tout, des instants pour alimenter une réflexion autour de cette question qui n’est pas aussi simple qu’elle en a l’air. Il ne faudrait pas enfouir sous le silence un fantôme encombrant. Nos «élites», qui «vivent comme des touristes dans leur propre pays», selon la très pertinente formule d’un citoyen à la radio, sont déconsidérées parce qu’elles vivent dans les brouillards de l’éphémère, et surtout parce qu’elles ne savent pas se tenir. Elles s’épanouissent dans le chaos, qui a toujours été leur élément naturel. Elles ont créé un climat où l’on préfère échanger des insultes plutôt que des arguments. En postulant faussement que la Tunisie est devenue, depuis 2011, un pays de suprémacistes islamistes et populistes aux aspirations hégémoniques, ces «élites», qui ont fait une rente politique de leur alliance avec les intégristes et qui aiment prospérer sur la peur et l’affirmation de leur propre «vertu», paralysent toute discussion démocratique. Impossible, désormais, de formuler la moindre critique à l’égard de quiconque appartenant à leurs cercles de pouvoir ou d’influence sans être taxé de traître. Une nouvelle «élite», protectionniste, nationaliste, intégriste, populiste et néo-isolationniste se fait jour. Elle ne recule devant aucune exagération, elle accumule les contrevérités, elle insulte ses adversaires : le respect humain, la dignité personnelle et les usages lui sont parfaitement indifférents.
Alors, la prochaine fois que vous entendez cette nouvelle «élite», étrangement très médiatisée, vous dire qu’elle est très soucieuse de vos libertés, de vos droits, et de la démocratie, partez d’un grand rire. Ce sera toujours moins pénible que d’éclater en sanglots !