Un goût d’inachevé !

Au moment où l’on s’attendait à un apaisement de la crise qui  a vicié, huit mois durant,  la vie politique et mis à nu les graves divergences qui déchirent  les deux têtes du pouvoir exécutif, on a eu droit à un scénario presque apocalyptique. Le pays a vécu, au lendemain de l’annonce du remaniement ministériel,  un véritable  imbroglio qui a failli se transformer en  une crise institutionnelle,  reflétant  la piètre image d’un processus démocratique en panne.
Un imbroglio et des relations qui témoignent du mélange des genres, de la cohabitation devenue presque impossible entre les deux têtes du pouvoir exécutif,  de l’incapacité de la classe politique à respecter les formes et à faire prévaloir le sens de l’Etat. Ce qui a le plus surpris, c’est l’instrumentalisation des médias par des acteurs politiques qui n’ont  pas reculé à étaler publiquement leur  linge sale pour escamoter leur  manquement  à leurs  devoirs et engagements envers ceux qui les ont portés au firmament du pouvoir.
Cette crise,  qui ne finit pas de connaître des rebondissements inattendus, donne un avant-goût d’une année électorale pas comme les autres, d’une campagne électorale que se livreront des acteurs prêts à utiliser tous les moyens, tous les coups bas,  pour parvenir à leurs fins, à l’effet d’accaparer le pouvoir. Une guerre où les rapports de force sont loin d’être égaux et où  les objectifs clairs et la volonté sincère font cruellement défaut. Dans cette guerre, et c’est là où réside le paradoxe, les acteurs politiques risquent de mener un combat solitaire dans la mesure où le  corps électoral, dans sa  majorité, a  retenu la leçon et semble peu perméable à un discours qui ne l’emballe plus et auquel il n’accorde pas beaucoup de crédit.
Manifestement, cette  guerre pour le partage d’un gâteau qui, en fait,  n’existe plus, met aux prises des  partis  qui se sont engagés prématurément dans cette  course,  tout en oubliant qu’au final, ils vont trouver un pays au bord de la banqueroute et un peuple qui ne risque plus  d’être pris au  piège d’un jeu politique perverti.
Que retenir de la grande brouille qui a accompagné l’annonce, jugée hâtive et surprenante, par le Chef du gouvernement, du dernier remaniement ministériel ?
Un président de la République dépité,  frustré,  amer et n’arrivant pas à expliquer  le reniement de la personne qu’il a choisie,  il y a deux ans,  pour succéder à Habib Essid.
Un président qui est,  en fait,  responsable de la confusion régnant actuellement, et  qui,  en voulant rééditer le même scénario d’il y a deux ans, s’est trouvé pris dans les filets de son propre jeu. Prétendre par la suite qu’il n’a pas été correctement consulté, taxer  le Chef du gouvernement de tous les maux, ne change rien à la donne. Parce qu’il  s’est rangé, dès le départ,  aux côtés de son fils, responsable de la désarticulation de Nidaa Tounes et de son extrême affaiblissement, le président de la République,  garant de la Constitution, se résigne enfin  à l’évidence en constatant que son rayon d’influence s’est beaucoup rétréci et que les moyens dont il dispose pour mener le bal de la vie politique, sont devenus très limités. La mise au point qu’il s’est trouvé obligé de faire, en improvisant une conférence de presse, est venue confirmer son incapacité à changer un  nouvel ordre et à se contenter d’agir dans le périmètre que lui confère la Constitution.
Le  Chef du gouvernement, Youssef Chahed, qui a pris du poids et de l’assurance à la faveur des alliances qu’il a pu tisser, sort provisoirement grand vainqueur d’une longue et éprouvante crise politique qui l’a souvent détourné des dossiers brûlants  à sa charge. Alors que le pays n’en finit pas de s’enfoncer dans une crise politique, économique et sociale grave, toute son attention s’est focalisée sur  les voies lui permettant de défier ses détracteurs et de se maintenir,  vaille que vaille, au pouvoir.
Si le président de la République lui reproche  le non-respect des formes, un critère qui compte  dans les grandes démocraties, il n’en demeure pas moins que le Chef du gouvernement a péché,  dans le choix des membres de son gouvernement,  beaucoup plus par  opportunisme que par volonté de recherche de l’efficacité.
L’intervalle très limité imparti à la nouvelle équipe et les grands chantiers en suspens exigent,  au demeurant, des profils de ministres rompus aux affaires publiques et ayant la capacité d’agir,  ne serait-ce que pour limiter les dégâts d’une longue période d’inaction et de blocage des réformes essentielles.
Une lecture rapide de certains profils de ministres nommés laisse dubitatif.   Lorsqu’on  sait  que les  portefeuilles ministériels sont avant tout  une responsabilité et une mission qui exigent un fort engagement et une connaissance approfondie des problèmes, on ne peut qu’être gagné par le doute. A la faveur d’un arbitrage difficile, l’on se rend compte que la distribution des responsabilités a obéi à une logique et à un marchandage partisans, non à un souci de faire bouger les choses et de transmettre un message qui aurait pu redonner espoir aux Tunisiens.
Que ce soit dans le comportement de l’équipe du président de la République, ou dans les décisions annoncées par le Chef du gouvernement, on décèle  une propension à  l’improvisation à un moment crucial où la gestion des affaires du  pays s’accommode  mal avec les demi-mesures  et l’administration de simples calmants.

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