Un gouvernement à l’épreuve du feu

L’annonce, visiblement précipitée, par Habib Essid de la composition de son gouvernement,  vendredi 23 janvier 2014, a laissé dégager un sentiment d’inachevé et provoqué des questionnements et une forte déception auprès de la classe politique nationale. En dépit de la présence de nombreuses personnalités indépendantes, le premier gouvernement de la deuxième République, né au forceps en raison d’âpres marchandages partisans, était prématuré et fragile.

Devant l’impasse dans laquelle il s’est embourbé, Habib Essid a dû user de subterfuges pour ajourner, sine die, le vote de confiance programmé à l’Assemblée des Représentants du Peuple. Un répit qui constituera une sorte d’exutoire pour désamorcer la colère qui gronde, ne pas perdre la face et revoir sa copie afin de garantir la confiance des députés.

Cet épilogue, que d’aucuns ne peuvent jurer s’il  est le meilleur ou le pire, a été une conséquence logique du jeu périlleux d’équilibrisme auquel s’est adonné le chef du gouvernement désigné qui, pendant plus de vingt jours, à force de vouloir plaire à tous, a pris le risque de ne plaire qu’à quelques uns.

Le Chef du gouvernement a dû, très vite,  se rendre à cette terrible évidence,  en affrontant d’abord, une  fronde menée par des cadres et des élus de Nidaa Tounes qui ont crié haut et fort leur colère et leur frustration face à l’hésitation de leur parti à assumer ses responsabilités. Certains allant jusqu’à qualifier de trahison la recherche du consensus et l’éventuelle présence d’Ennahdha dans le gouvernement.

Finalement, c’est un gouvernement qui,  même sans Ennahdha et, surtout, sans Afek Tounes – allié naturel de Nidaa, qui a dû jeter l’éponge à la toute dernière minute « pour de profondes divergences sur l’attribution de portefeuilles ministériels » – se retrouve en stand-by. Et quand bien même il aurait obtenu la confiance d’une majorité limitée, le nouveau gouvernement tel que constitué risquait d’avoir du plomb dans l’aile et l’on peut, d’ores et déjà, s’interroger sur la nature des arbitrages qu’il aurait à inventer pour avoir une marge de manœuvre acceptable qui lui permettrait d’appliquer son programme.

Au-delà, ce qui a le plus surpris, c’est la configuration même de ce gouvernement. Un véritable patchwork  formé de personnalités venant d’horizons divers,  pour la plupart peu rompus à l’action politique et dont l’affectation de certains dans des ministères techniques n’a pas obéi à des  critères de spécialisation convaincants. Résultat : il n’a ni séduit, ni suscité une grande sympathie.

Pourtant sa  structure est quelque peu inédite comportant outre une minorité issue de deux partis politiques (Nidaa et UPL), une  majorité de figures de l’opposition, d’activistes de la société civile, de femmes et de compétences.

Aujourd’hui, la question de la cohérence et de la  performance  que peut Habib Essid donner à l’action de son équipe, dans la phase cruciale que traverse la Tunisie qui exige un gouvernement solide, soudé  et prompt à engager des réformes urgentes et à prendre des décisions difficiles, se pose avec  insistance.

Outre la faible marge de manœuvre dont ce gouvernement disposera, la qualité du programme qu’il aura à présenter et l’efficacité des réformes qu’il aura à engager dans un contexte national incertain et flou, la question qui interpelle se réfère à  la capacité de Habib Essid de jouer pleinement son rôle de chef de gouvernement, comme le stipule la Constitution, ce qui le rend responsable de sa gestion seulement devant l’ARP.

Sans nier l’importance de l’existence d’une synergie positive entre les deux têtes de l’Exécutif, pour conférer harmonie et efficacité aux réformes et actions devant être mises en œuvre pour impulser le développement, Il va falloir que Habib Essid ne se cantonne pas dans la posture de premier ministre qui reçoit ses ordres de Carthage.

Ceci est à la fois salutaire et salvateur pour la démocratie naissante et le respect effectif de la Constitution.

Le Président de la République ne s’est-il pas engagé solennellement à honorer ce principe fondateur de la deuxième République ?

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