L’entourage du Chef du gouvernement a édité un livre blanc qui pourrait servir de “guide” en matière de réforme des entreprises publiques, devenu une urgence pour le gouvernement de Youssef Chahed compte tenu du poids humain et financier du secteur, mais aussi un thème de polémique pour l’UGTT et par conséquent, un prétexte de “bras de fer” sur fond de crise politique.
Il semble que le chef de l’Etat aussi bien que l’ARP, se gardent bien pour l’instant de prendre position sur ce dossier brûlant, en attendant l’issue de l’actualisation du Pacte de Carthage.
Le diagnostic global de la situation des entreprises publiques établi par le document pour justifier le bien-fondé de la réforme, est plutôt objectif et réaliste sans être catastrophique ni particulièrement alarmant.
Il constate la flambée des coûts dans les entreprises publiques depuis le début des années 90, ainsi que la dégradation de la qualité des prestations de service pour des raisons structurelles. A cela, le texte invoque aussi bien le manque de clarté du statut juridique qui régit les entreprises publiques que les lacunes et les contradictions qui existent dans les textes législatifs.
Le nombre d’emplois et le niveau des salaires ont connu des dérapages et une inflation considérable qui a alourdi les déficits financiers.
Il y a eu incontestablement des insuffisances dans les dispositifs de contrôle. Les engagements des différentes parties qui ont participé au capital de ces entreprises ne sont pas toujours concordants.
C’est pourquoi les résultats financiers négatifs se sont aggravés, en particulier au cours des dernières années. C’est ainsi que les recettes ont baissé de 27% entre 2010 et 2014.
Tandis que les bénéfices ont régressé de 55% à cause de deux motifs majeurs : les augmentations de salaires d’une part et les difficultés de réajustement des prix d’autre part.
La réforme des entreprises publiques est ainsi devenue une urgence pour les sauver de la disparition.
En quoi consiste le programme de redressement prévu par le plan de développement 2016-2020 ?
Ce plan comporte quatre volets distincts mais complémentaires et solidaires. D’abord, la révision du système de gouvernance globale du secteur public avec reconsidération du rôle de l’Etat en sa qualité de financier de ce secteur, ainsi que le rôle des ministères techniques qui doivent assurer la tutelle de ces entreprises et qui doivent intégrer ces entreprises dans leurs politiques sectorielles.
Les règles du contrôle de gestion ainsi que celles de la lutte anti-corruption doivent être renforcées.
La gouvernance interne de ces entreprises doit être revue de fond en comble : les conseils d’administration doivent être responsabilisés lors de leur gestion avec une promotion sensible de la transparence des décisions prises avec mise sur pied d’un comité de direction, de commissions de contrôle interne, de recrutement et d’autonomie de gestion des ressources humaines.
Des conventions doivent être signées entre l’Etat et les entreprises pour conditionner le versement des subventions d’équilibre à la réalisation des objectifs assignés. Une sorte de programme par objectifs ou par réalisation de projets.
Le 3e volet porte sur la promotion du dialogue social dans l’entreprise dans le cadre de l’amélioration du climat social dans les entreprises.
Il est nécessaire pour les gestionnaires d’entreprises publiques de considérer le personnel et les cadres comme des partenaires stratégiques dont l’adhésion aux objectifs est nécessaire pour la réussite de l’entreprise. C’est pourquoi il est essentiel de les faire participer aussi bien à la prise des décisions importantes qu’aux résultats enregistrés. Il est donc indispensable de les sensibiliser à la productivité et à la rentabilité de l’entreprise.
Le 4e volet est le plus complexe, celui de la restructuration financière des entreprises publiques : recapitalisation, assainissement financier, à savoir apurement des déficits et rééchelonnement des dettes bancaires, dégraissage des effectifs et allègement des charges fixes… Cela va être très couteux. Où trouver l’argent alors que les déficits des entreprises publiques est de 6500 millions de dinars et que le fonds de restructuration ne comporte que 300 millions d’euros à prêter par l’AFD (France) ?
De surcroît, le processus de réforme exigera un délai minimum de dix ans pour être concrétisé.
Il sera créé une structure ou instance chargée de la gestion des participations de l’Etat, mais aussi de la coordination et de la supervision des activités des entreprises publiques. Elle sera rattachée à la présidence du gouvernement, soit une instance publique de plus.
La théorie, c’est bien, la concrétisation des projets sur le terrain, c’est encore mieux, mais autrement plus difficile car les obstacles, les résistances au changement, la pression des intérêts des uns et des autres, sont difficiles à vaincre.
Il faut croire que nous sommes inguérissables en Tunisie. Nous voulons tout légiférer, tout réglementer de façon contraignante au point de classer ensuite le dossier dans le tiroir de l’oubli pour cause de rigidité inapplicable. Il faut dire que le pragmatisme a des vertus cardinales.