On propose de parler le langage de la raison à ceux qu’on appelle les salafistes djihadistes qui sont la cause de violences de plus en plus fréquentes et qui entretiennent un climat d’insécurité dans le pays, mais si la raison les commandait, ils perdraient toute raison d’être. Il me semble que leur seule vocation est de se croire investis par la passion de la «vraie» foi qui consiste à revenir à celle des origines. Ils sont des “soldats de Dieu” pour qui les quatorze siècles qui ont suivi étaient un temps inutile et coupable. Tous les progrès accomplis par l’humanité et pas seulement technologiques deviennent caduques aux yeux de ces gens littéralement fascinés par un temps qu’ils idéalisent pour ne pas l’avoir connu eux-mêmes.
On peut se poser après tout la question de bonne foi, de savoir si des progrès ont été vraiment réalisés sur le plan de la conscience humaine depuis quatorze siècles ? Un regard rapide sur le monde actuel ravagé par les égoïsmes et les brutalités peut nous faire penser le contraire. Certes, des progrès technologiques inouïs et impensables ont été accomplis, des connaissances prodigieuses ont été acquises qui ont changé la vision de notre environnement, comme celle que je trouve la plus féconde, le spectacle de notre planète Terre vue de l’espace, flottant majestueuse et superbe dans les immensités galactiques. Il y a eu aussi des tentatives nombreuses pour bâtir un monde plus équitable et plus juste, des expériences qui se sont toutes fracassées sur une nature humaine imparfaite.
Peut-on pour autant désespérer de l’homme ? Il y a eu incontestablement des avancées mentales qui sont la conquête de valeurs que l’on veut universelles. La démocratie, même si elle est loin d’être exemplaire, représente une avancée majeure. La démocratie entendue comme un régime politique dans lequel «Tout être naît et demeure libre et égal en droit», hommes et femmes confondus dans le terme de citoyen. «Que nul ne peut être poursuivi pour ses idées et opinions» et que «Ma liberté s’arrête où commence celle de l’autre»… Un régime politique qui reconnaît le peuple comme seule source de pouvoir et les droits des minorités comme intangibles. On peut comprendre combien ces valeurs de base peuvent heurter la croyance de ceux qui veulent revenir aux origines et surtout révolter les commanditaires de ceux qui manipulent ces mouvements et principalement certaines monarchies arabes décadentes qui voient ces avancées comme une menace pour leurs privilèges.
L’islamisme politique se trouve confronté au principe essentiel de la démocratie qui est celui de la liberté de l’individu, un individu mature et responsable qui a compris que la liberté ne peut pas signifier le droit de tout faire. Certes, les responsables islamistes utilisent le terme de démocratie mais un terme qui se veut sélectif car elle ne concernerait que ceux qui partagent leurs croyances comme en Iran. Après tout, la démocratie des origines, n’a-t-elle pas concerné que les citoyens libres et exclut les femmes et les esclaves ? Plus tard, on a même exclu selon les revenus avec la démocratie censitaire. Mais aujourd’hui la démocratie véritable s’est finalement imposée en reconnaissant les droits inaliénables de tous les individus égaux en droits et en devoirs.
L’islamisme politique en Tunisie peut-il croire sincèrement qu’il pourrait isoler le pays dont il aurait la charge car il n’a pas les ressources pétrolières et minières pour vivre en autarcie à la manière de l’Arabie saoudite qui prend le luxe de fermer ses frontières à qui bon lui semble ? Peut-on laisser un peuple dans l’ignorance et le conditionner pour lui faire croire que tout ce qui vient de l’extérieur est mauvais et nocif ? Suffit-il de maintenir dans l’obéissance un peuple à coups de fouet comme le font certains pays islamistes pour croire qu’ils possèdent la Vérité alors que cette même violence est à coup sûr la preuve la plus éclatante de leur faiblesse ?
Les brutalités exercées par les salafistes sont justement la démonstration de leur manque d’arguments et de leur incapacité à comprendre la différence. C’est ce point qui est la source des conflits, car toute idéologie extrémiste refuse la différence la considérant comme à l’origine du désordre.
L’individu doit s’effacer face aux intérêts de la communauté, ce qui revient à conforter les dirigeants de cette même communauté. Toutes ces considérations ne servent qu’à assurer le pouvoir des puissants et à les maintenir au pouvoir.
Tout régime qui a voulu imposer à un peuple une dictature a fini par disparaître. L’islamisme politique utilise la religion en flattant le sentiment religieux des croyants mais il devra convaincre aussi sur les plans économiques, culturels et politiques et cela est une autre affaire. La Tunisie n’a pas le luxe de fermer ses frontières, ce qui signe d’une manière inéluctable la défaite le l’islamisme politique à brève ou à longue échéance…
C’est cette conviction inébranlable qui nourrit en moi le sentiment d’un insupportable gâchis que pourrait connaître notre pays si, par malheur, ces thèses passéistes emportaient l’adhésion du plus grand nombre.
Par Foued Zaouche*
*Artiste-peintre et écrivain
www.fouedzaouche.com