Moktar Lamari*
Incroyable? Comme si l’actuel gouvernement se sent insolvable et qu’il doit défendre sa cause par des plus crédibles que lui. M. Hossein Mirshojaeian Hosseini, un ex Deputy Minister de l’État iranien (2016-2019), et arrivé depuis seulement 5 mois, comme Directeur exécutif au sein du FMI,a plaidé la cause tunisienne auprès du FMI, dans un étrange statement de 5 pages, annexé au dernier rapport du FMI au sujet de la Tunisie. Qui est M. Hossein Hosseini ? Qui l’a mandaté pour représenter la Tunisie au sein du FMI ? Et pourquoi ?Commençons par la fin ! Le rapport du FMI (Country Report 2021/044), publié la semaine dernière comporte une annexe de 5 pages, signée par M. Hossein Hosseini et M. Samir Belhadj. Cette annexe décrit les engagements du gouvernement Mechichi auprès du FMI pour espérer décrocher son soutien financier. Un soutien vital pour son gouvernement, un soutien incontournable de cette institution internationale, par qui fait le stop and go de tous les prêteurs et bailleurs de fonds. L’annexe en question commence par ces propos plutôt nébuleux, voire inquiétants « on behalf of our tunisian authority….)».
Hossein Hosseini, qui est-il et d’où vient-il?
M.Hosseini a rejoint le FMI à Washington,depuis seulement 5 mois. Titulaire d’un doctorat (Ph.D.) en macroéconomie obtenu au Japon en 2013, M. Hosseini est un pur produit de l’administration politique régissant la République islamique d’Iran.
Avant de rejoindre le FMI, M. Hosseini a occupé de très hautes fonctions au sein de l’État iranien, une carrière en ligne droite qui l’a propulsé au poste de Sous-ministre en titre (Deputy Minister) au ministère iranien de l’Économie et des Finances et ce pendant 5 ans (2014-2019).
Au-delà de ses très respectables diplômes en macroéconomie et en Development policy, M. Hosseini a le profil d’un homme viscéralement politique, désigné par son gouvernement, rien à avoir avec un simple expert économiste neutre, sans attache politique et sans ancrage partisan au système de gouvernance mis en place haut et fort par les Ayatollahs en Iran.
Mes propos ne doivent pas offenser ce personnage respectueux et qui est par ailleurs très prolifique en matière de publications scientifiques (voir son pedigree sur Google scholar), notamment dans les secteurs de l’énergie et de la macro-économie.
Mandaté pour parler au nom de la Tunisie au sein du FMI…pourquoi?
M. Hosseini plaide la cause de ses «autorités» tunisiennes au sein du FMI, comme si la Tunisie a besoin de mandater un autre pays pour se porter garant, protecteur… au sein des réunions du FMI à Washington. Qui l’eût cru que 10 ans après sa Révolte du Jasmin, la Tunisie perd de son aura et se fait représenter par un Iranien qui utilise les mots pour le contexte : «on behalf of ourTunisian autorithy…».
Motus et bouches cousues, aussi bien du chef du gouvernement Hichem Mechichi que du gouverneur de la BCT, Marouan Abassi. Rien à dire au sujet de cet enjeu très «offensant» et arrivant quasiment une semaine après la sévère dégradation de la note de confiance de la Tunisie par Moody’s.
Sujet brulant sur les réseaux sociaux, les médias influents sont hors-jeux, ne lisant pas toujours l’anglais, restent divisés, ne sachant pas quoi dire à ce sujet très politique dans le contexte des tensions qui déchirent les trois présidences au sommet de l’État tunisien.
Cela dit, le fait de voir un Iranien parler au nom du gouvernement tunisien au sein du FMI reste choquant et à plus d’un titre. Pour certains, il s’agit d’une atteinte à la souveraineté économique de la Tunisie. Pour d’autres, c’est plus complexe que ça ne parait. Et pour cause, trois hypothèses explicatives sont avancées par les experts qu’on a consultés.
Un : la première hypothèse tient au fait que la Tunisie ne dispose pas de suffisamment de SDR (Special drawing rights), un actif monnayable mesurant les actions dans le «capital fondateur du FMI» détenues par chaque pays membre du FMI, et dont la valeur par SDR vaut presque 4 dinars tunisiens.
Les pays ayant le plus important volume de SDR ont plus de droits de vote et de décision sur les sujets en délibération au sein du FMI. La Tunisie dispose de 545,2 millions de SDR, ne pesant que 0,14% du total des votes en jeu dans cette institution internationale gérée selon ces quotas SDR. Un expert économiste et ancien ministre tunisien m’expliquait par messenger, cette semaine que les pays lilliputiens comme la Tunisie doivent faire alliance avec d’autres plus forts qu’eux,pour mieux peser sur le vote requis, et ce pour influencer des décisions du FMI.
Selon cette hypothèse, la Tunisie a fait «alliance» avec l’Iran pour aller de l’avant dans la quête de décisions qui lui sont favorables. L’Iran dispose de quasiment 3 fois plus de SDR (1552 millions) que la Tunisie, et donc trois fois plus de pouvoir de votes. De ces précieux SDR, le Maroc dispose un peu moins que le double de la Tunisie. L’Algérie dispose quatre fois plus que la Tunisie (1959 millions de SDR vs 525 millions pour notre pays). En termes de SDR, l’Algérie dispose de 30% de plus que l’Iran (en SDR et droit de vote), et on se demande pourquoi la Tunisie n’a pas cherché d’autres alliances plus proches du point de vue géopolitique, tels que l’Algérie, dans le cadre de cette hypothèse explicative. Dans ce contexte, l’Algérie aurait été plus «rentable» dans le contexte. Mais, il semble que l’actuel président de l’Algérie a coupé les vannes desservant la Tunisie pour sanctionner le chao de gouvernance prévalant en Tunisie.
Deux, certains observateurs et analystes au fait des enjeux politiques en Tunisie avancent l’hypothèse que le gouvernement de Hichem Mechichi et particulièrement son ministre des Finances préfèrent faire porter l’odieux à des non tunisiens quand il s’agit d’annoncer des réformes impopulaires et des politiques qu’ils ne peuvent assumer. Ils sont de facto incapables de concevoir et d’implanter pour réformer et pour relancer une économie asphyxiée par la dette et paralysée par la mal-gouvernance.
Le gouverneur de la Banque centrale a aussi fait le mort dans le contexte, ne voulant pas écorcher son image dans les médias en expliquant pourquoi c’est un Iranien, ancien Deputy minister au sein du gouvernement iranien qui parle au nom de la Tunisie. Marouan Abassi est le principal représentant de la Tunisie au sein du FMI, et il est secondé par Nadia Amara-Gamha, aussi fonctionnaire à la BCT.
L’annexe colportée par M. Hossein Hosseini (p.93-97), dans les 5 pages du plus récent document du FMI au sujet de la Tunisie, comporte des réformes très exigeantes pour la Tunisie. Des réformes grosso modo difficiles à implanter dans le contexte de crise majeure au sommet de l’État tunisien. Un contexte où les deux chefs de l’exécutif ne se parlent plus, et où le parlement est en guerre perpétuelle et totalement dysfonctionnel pour adopter des réformes consensuelles. Le tout sous le contrôle de Rached Ghannouchi, président du Parlement et fondateur du parti des frères musulmans en Tunisie. Forcément plus proche de l’Iran que de l’Algérie.
Le gouvernement Mechichi, son ministre des Finances, Ali Kooli, ne veulent pas se mouiller, ne veulent pas être tenus pour des imputables pour les engagements tenus au nom de la Tunisie par M. Housseini. Des patates chaudes qu’on évite de toucher, pour s’en éloigner et se maintenir au pouvoir.
Trois, mes sources tuniso-tunisiennes au sein de l’actuel gouvernement tunisien m’informent que le filon iranien dans ce dossier (IMF-Tunisia) va jusqu’au Président de la République, Kaïs Saïed, principal responsable des enjeux des «affaires» étrangères. La présence de l’Iran dans ce dossier brulant avec le FMI est certainement validée, un tant soit peu, à un moment ou un autre, par le Palais de Carthage.
Dans le contexte d’une recherche d’un pays économiquement «fort», capable de se porter garant des prochains prêts internationaux requis pour financer le Budget 2021, l’Iran semble devenir un allié «crédible», surtout que ce pays annonce un taux de croissance de 3% pour 2021 et impose de plus en plus ses diktats pour les amis des amis, entre autres le Qatar et la Turquie.
Le Liban paie aujourd’hui les frais de ces alliances erratiques et incertaines avec l’Iran. La Finance islamique et les Sukuks qui ont contribué à ruiner le Liban, seraient à l’œuvre en Tunisie, mais par des ramifications latentes et décisions insidieuses peu visibles pour le commun des mortels en Tunisie.
La Tunisie libre, démocratique et souveraine ne doit pas lâcher prise et ne doit pas troquer son indépendance pour des enjeux de financement mercantile et pour des causes bassement vénales. Le FMI préfère de vraies réformes que des alliances foireuses pour acheter du temps et pour ruiner la démocratie Tunisienne, pourtant bien partie en 2011.
Des réponses claires de la part du chef de gouvernement et/ou du gouverneur de la BCT doivent aider à mieux comprendre et à éviter les spéculations dévastatrices pour l’économie et le bien-être des Tunisiens et Tunisiennes.
Au lieu de noyer le poisson, les instances gouvernementales en Tunisie doivent dire la vérité aux Tunisiens sur l’ampleur de la crise économique, et ils ne doivent pas se cacher pour le dire au niveau international… Demander à l’Iran de parler en leur nom est inquiétant, et l’opinion publique souhaite avoir les dessous de cette alliance qui passe par le FMI.
*Universitaire au Canada