Un livre tendancieux !

Les stands dans la foire internationale du livre étaient remplis de bouquins dont les titres et les présentations attiraient les visiteurs et ce, en dépit de leurs prix exorbitants. Tout dans ce lieu vous pousse, en effet, vers les livres et vous convainc qu’il n’a pas encore perdu son sceptre. Mon conseil d’hygiène mentale pour ce printemps était de prendre congé des politiques, idéologues et commentateurs des plateaux télévisés à qui les échecs répétés n’ont rien enseigné, d’acheter des livres et d’ouvrir grand ses poumons. J’ai posé ma main sur un livre volumineux. Le titre occupait le haut de la couverture : «Histoire de la littérature tunisienne» du père Jean Fontaine. Je me rappelle que j’étais le premier à lancer la critique de ce livre dès son apparition à la fin des années quatre-vingt-dix, bien avant que les feux des affrontements entre l’auteur et les lecteurs ne s’embrasent, dans bon nombre d’espaces nationaux et arabes en exil. Les réactions étaient donc variées et divergentes tant au plan du fond qu’à celui de la forme, selon les spécificités référentielles de chacun. Ainsi, comme dans toutes les querelles d’idées, les acteurs du débat étaient divisés en partisans et détracteurs. Pour ceux qui ont assisté à l’époque à cette polémique, il était aisé de déceler les justifications utilisées autant par les uns que par les autres, pour la simple raison qu’elles se fondaient toutes sur des réactions subjectives. À l’analyse approfondie de telles réactions, il s’avère que les «partisans» sont ceux à qui le père Jean Fontaine a consacré quelques petites lignes dans son anthologie. Quant aux détracteurs, ce sont ceux qui constatèrent l’absence de leurs noms ainsi que de leurs textes. Tous tombèrent donc dans le piège d’une «subjectivité réactionnelle».
Les partisans se sont fondés en fait sur le principe de la liberté d’esprit. Ils prétextaient que l’auteur a le droit absolu d’écrire comme il l’entend, en feignant d’oublier que ce travail de recherche est moins littéraire qu’historique, donc soumis à des critères scientifiques rigoureux qui ne sauraient souffrir les fluctuations, les omissions ou le sectarisme idéologique et religieux. En plus, la liberté de pensée et d’expression, condition élémentaire de la recherche scientifique, peut en devenir l’ennemie lorsque, loin d’expliquer, de justifier, de convaincre, elle dévie, trompe, falsifie et se laisse gagner par la bêtise la plus hargneuse.
En fait, l’essence de la problématique était plus grave qu’elle ne le paraissait. Elle allait au-delà de l’exclusion des méritants et de la consécration des médiocres. Elle était plutôt liée à un revirement orientaliste dont témoigne cette fameuse anthologie qui, de cette façon, cherchait à renouer avec la période pré-orientaliste, au moment où l’arbitraire et le dogmatisme sous toutes ses formes étaient de mise.
En effet, durant leurs expéditions «civilisatrices», les colonisateurs, soucieux d’opérer une refonte de l’art et des lettres, se sont toujours basés sur une réécriture de l’histoire culturelle des sociétés conquises. Pour eux, le mot «orientalisme» contenait nécessairement une virtualité de «progrès», donc une possibilité de supériorité d’une culture par rapport aux autres !
Je crois que les méthodes adoptées par les premiers orientalistes et auxquelles se sont opposés pourtant les célèbres révisionnistes, ont inspiré le père Jean Fontaine qui, en les employant à sa façon, a tenté en fait de semer le doute sur la véracité de quelques fondements historiques et civilisationnels et ce, à travers une classification douteuse des mouvements littéraires tunisiens. D’ailleurs, le fait qu’il ait focalisé sur des phénomènes de croyance et de langue insignifiants, n’est-il pas en réalité tendancieux et fort inquiétant ?

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