Chaque semaine apporte son lot de polémiques et de surenchères chez nous où « l’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant » et le superflu devient le menu principal du débat public. Il faut dire que notre classe dirigeante, qui brille par son impertinence et son amateurisme, prête merveilleusement le flanc à ce jeu pas trop innocent. Après la polémique qui a accompagné l’annonce de certaines dispositions du projet de loi de Finances 2018, voilà que la visite entreprise, la semaine dernière, par le président de la République, Béji Caïd Essebsi à Sousse prenne le relais offrant un menu idéal pour enflammer les réseaux sociaux et accaparer le débat public. Toute l’attention a été portée, non aux activités ou aux réalisations que le Président avait eu à donner le coup d’envoi, mais plutôt sur certains détails. Ne dit-on pas que le diable est dans les détails ? Sur ce plan, les fausses notes et les maladresses non assumées ont été le clou de cette visite qui a rappelé aux Tunisiens un passé récent peu glorieux.
Une visite qui a été une sorte de remake de celles qu’effectuait le président déchu dans les régions avec tout le folklore qui les accompagnait, la mobilisation populaire qu’elles exigeaient et toute l’instrumentalisation qu’elles engendraient. A ce niveau l’on peut se demander si Béji Caïd Essebsi qui entame, peut-être, une série de visites dans les régions du pays avait besoin de ces bains de foule non spontanés ou de ces manifestations ostentatoires qui n’ont plus droit de cité dans un pays où il n’y a plus de place à un leader charismatique? L’on peut également s’apostropher si Sousse n’a pas été le mauvais départ, voire même ce qu’un président dans une démocratie, naissante, n’a plus le droit de tolérer ?
Il faut expliquer peut-être ce faux pas par l’excès de zèle des autorités régionales qui ne semblent pas encore comprendre que les temps ont changé et qu’il aurait suffi d’une organisation simple pour que cette visite se déroule sans encombre ni susciter tout ce tollé dont personne n’a réellement besoin.
L’incompétence des conseillers du président de la République y est également pour quelque chose. Au lieu de limiter les dégâts, ils ont préféré, par leur imprudence et leur insoutenable légèreté, mettre les pieds dans le plat. Alors qu’ils auraient dû avaler la pilule, reconnaitre les ratés en matière d’organisation, en gardant le silence, ils se sont fourvoyés dans des analyses fantaisistes qui ont fini par mettre le feu aux poudres, en offrant à la polémique qui enfle de nouveaux arguments pour gagner en intensité et à certaines critiques un bon fondement.
Cela n’étonne guère, dans la mesure où il y a confusion dans les rôles et un problème récurrent de communication qui concerne aussi bien le gouvernement que la présidence de la République. Confusion des rôles dans la mesure où ceux qui sont censés conseiller les premiers responsables dans notre pays, ne maîtrisent pas les outils de leur métier et montrent une incapacité notoire en matière d’anticipation et de présentation d’argumentaires qui auraient pu épargner à nos responsables bien de désagréments.
Dans le cas d’espèce, c’est l’intelligence qui a été aux abonnés absents. A défaut de cohérence dans le discours et d’une capacité de formuler une analyse qui convainc, on a ouvert la boite de Pandore en mettant le président de la République dans une situation fort embarrassante. Outre les commentaires parfois désobligeants, cette visite a été en fait l’objet d’une véritable manipulation politicienne.
Certains partis politiques ont sauté sur l’occasion pour accuser le président de la République d’entamer prématurément sa campagne électorale pour les élections présidentielles de 2019. Enfin, la HAICA (haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle), qui brille par son absence sur la scène médiatique, a trouvé le moment propice pour refaire surface. Le communiqué qu’elle a publié, dans la précipitation, accuse directement la télévision tunisienne de propagande au profit du président de la République et les journalistes de la chaîne publique d’un manque de professionnalisme notoire. Peut-on en vouloir à cette instance quand nos politiques se montrent aussi frileux qu’impertinents ?