Un non-sens économique


Dans un monde globalisé et en pleine mutation où la concurrence est très forte, de nombreux pays font recours très souvent à différentes politiques d’attractivité comme les incitations et les subventions. Théoriquement, les incitations à l’investissement ont souvent l’avantage de favoriser l’investissement et la création d’emploi soit dans des secteurs stratégiques ou dans des régions défavorisées et ceci dans le cadre d’une stratégie globale de développement. Cependant, ces incitations n’ont pas que des avantages, ils ont également un coût budgétaire et un manque à gagner fiscal non négligeable.
Comme dans de nombreux pays, la Tunisie a mis en œuvre depuis 1993 un code d’investissement et des mesures pour promouvoir l’entrepreneuriat et stimuler l’initiative privée afin de répondre aux besoins de l’économie et s’adapter aux objectifs de développement économique. En effet, la Tunisie offre de généreuses incitations à l’investissement afin de résoudre une partie du problème du chômage et aussi du développement des régions marginalisées. Malheureusement, et malgré l’absence d’une évaluation objective de l’ancien code, les résultats en matière d’emploi et de développement régional, semble être très discutables. Il devient dès lors absurde de se lancer dans l’élaboration d’un nouveau code alors qu’il n’ait jamais eu d’évaluation objective de l’ancien code. La question qui se pose avec une acuité extrême est avec quelle philosophie doit être élaboré le nouveau code d’investissement?
Il y a lieu d’abord de rappeler que l’investissement privé est d’une faiblesse inquiétante et nécessite, sans aucun doute, des mesures de soutien et d’accompagnement. En effet, il est illusoire de croire qu’on pourrait résoudre les problèmes d’emploi, de développement régional, des équilibres macroéconomiques etc. avec un investissement des sociétés non financières ne dépassant pas 10% du PIB. L’investissement détermine en effet l’avenir d’une nation et une faiblesse durable de celui-ci hypothèque la croissance d’aujourd’hui et celle de demain.

Pourquoi les incitations à l’investissement n’ont-ils pas donné les résultats escomptés ?
Malgré les généreuses incitations, le rythme de création d’entreprises n’a pas atteint les objectifs escomptés. Bien au contraire, les pratiques de corruption, de népotisme, de clientélisme et de trafic d’influence ont détourné ces avantages de leur objectif et ont fait profiter un certain nombre d’entreprises exportatrices et surtout des entreprises off-shore. De plus, le taux comparativement élevé de l’impôt sur les entreprises on-shore peut impliquer des coûts budgétaires en termes d’une moindre conformité fiscale et évasion fiscale de la part de celles-ci. De toute évidence, les incitations à l’investissement, à elles seules, ne peuvent pas canaliser les investissements vers une destination déterminée. D’ailleurs, cet échec passe en arrière-plan plusieurs difficultés qui dissuadent les promoteurs à s’implanter dans les régions de l’intérieur et entrave la bonne marche de ceux déjà en activité. L’expérience internationale a montré que les incitations à l’investissement sont à la fois coûteuses (leur coût pouvant parfois excéder le bénéfice des investissements), inutiles (elles ne constituent qu’un déterminant secondaire de la décision d’investir) et perverses (elles diminuent les recettes de l’Etat et entraînent les gouvernements nationaux dans des guerres de surenchère à la baisse).

Un gâchis
Cherchant à être au diapason des exigences actuelles de l’économie, notamment la faiblesse de l’investissement, pour assurer le développement du pays, le ministère du développement, de l’investissement et de la coopération internationale a reformulé le draft de 2012 du code d’investissement. Cette nouvelle version, sans vision de la réalité ni philosophie du futur, a cherché à offrir le maximum. Au point où les investisseurs, eux-même, ne revenaient pas des avantages que leur accorde le nouveau code. Des investisseurs qui se disent que c’est même trop beau pour être vrai.
Alors qu’un code d’investissement doit servir comme une sorte de guide qui oriente les investissements selon les objectifs prédéfinis par l’Etat, la nouvelle version du code accorde des avantages à toutes les activités économiques, même l’activité d’hydrocarbure est concernée. Le nouveau code offre la possibilité aux investisseurs étrangers de posséder jusqu’à 49% des actions de sociétés tunisiennes. Ceci permet en gros de brader les terrains agricoles sur lesquels sont installés des sociétés non agricoles. De plus, les entreprises étrangères ont la possibilité de recruter jusqu’à un tiers de cadres étrangers. Au final, et dans sa version actuelle, le nouveau code d’investissement pourrait déclencher une nouvelle révolution dans le pays.
La rigueur fait qu’il ne faut pas chercher des solutions du type « tout ou rien » mais plutôt un suivi pour les rendre plus efficaces. L’investissement doit être promu et encouragé par des outils adaptés pour le capter. En effet, il faut veiller à ce que le système d’incitation contribue à la transformation de l’économie avec comme objectifs l’émergence de l’industrie à haute technologie en favorisant notamment des objectifs horizontaux telles que la valorisation des ressources humaines, l’utilisation de nouvelles technologies et la recherche et développement. Une meilleure compréhension des facteurs affectant le climat d’investissement en Tunisie aiderait à mieux cibler les politiques visant à stimuler l’investissement privé et assurer plus de rationalisation en matière d’allocation des ressources et une transparence financière effective du budget général.
L’investissement, qu’il soit économique, matériel ou immatériel, financier ou non financier, est un moyen essentiel par lequel une société construit son avenir. Mais pour que les entreprises investissent, il faut qu’elles aient des raisons de le faire, qu’elles le souhaitent et bien sûr qu’elles puissent le faire. Elles doivent être pour cela assurées d’une certaine rentabilité, au moins supérieure au taux d’intérêt. Mais elles doivent surtout anticiper des perspectives de croissance et c’est cela qui fait particulièrement défaut aujourd’hui. Et ce n’est guère un nouveau code d’investissement qui va changer la donne et ce, pour au moins deux raisons. La première est que le nouveau code offre trop d’avantages dont les résultats sont discutables alors que le coût budgétaire paraît extrêmement élevé. La seconde raison est que l’investissement en Tunisie souffre de défaillances structurelles auxquelles le nouveau code d’incitation n’apporte aucune réponse (graphique ci-contre).
Un des principaux déterminants de la décision d’investir est la profitabilité du capital. En effet, la profitabilité est la différence entre la rentabilité du capital, qui mesure le rapport des profits nets d’amortissement au stock de capital, et le taux d’intérêt réel. Exprimé autrement, cela signifie que le retour attendu de l’investissement doit être tel que la rémunération du capital soit supérieure à celle qui serait attendue sur les marchés financiers, couvrant ainsi la prime de risque associée à chaque investissement. Pour les entrepreneurs, une forte profitabilité est nécessaire pour accepter de prendre le risque de se trouver en surcapacités de production avec des coûts fixes supplémentaires.
En conséquence, toute politique économique de nature à préserver ou améliorer la profitabilité des entreprises favorise également l’investissement. De multiples moyens existent pour améliorer la profitabilité. Un premier canal est celui de l’augmentation de la rentabilité économique, un second canal repose sur la baisse des taux d’intérêt réels.
La rentabilité économique, rapport entre la rémunération du capital nette, de son amortissement au stock net du capital, mesure la performance économique du point de vue de l’entreprise. La rentabilité économique croît avec le taux de marge (ou le taux de profit) ainsi qu’avec l’efficacité productive du capital. Toute politique visant à l’amélioration des marges des entreprises (baisses des impôts indirects, baisse des charges sociales) ou visant à la préservation des profits (baisse des impôts directs) est donc de nature à améliorer la rentabilité du capital et favorise l’investissement des entreprises. La modération salariale constitue également un enjeu important du maintien de la rentabilité des entreprises. Elle est favorable à l’emploi et à l’investissement.
Cependant, et en plus des difficultés structurelles, des éléments conjoncturels sont également en cause dans la faiblesse actuelle de l’investissement. En effet, investir, c’est parier sur une rentabilité future et cette dernière reste d’abord liée à l’anticipation que l’entreprise fait de ses ventes. Si la faiblesse de l’investissement pèse sur la croissance, l’inverse est tout autant vrai : les entreprises ont d’abord besoin de visibilité, d’être tirées par une demande, qui plus est durable, pour se lancer. Il est logique qu’elles attendent aujourd’hui de la visibilité et que la croissance soit considérée comme suffisamment solide.

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