Un pays dans l’expectative

Plus les pressions s’accentuent, plus on éprouve un malin plaisir à perdre du temps. Pourtant, tout le monde est conscient de l’importance cruciale que revêt le facteur temps pour anticiper,  éviter l’irréparable et faire renaître l’espoir. Néanmoins, les  dirigeants du pays n’en ont cure, en agissant à contresens, prenant  tout leur temps et faisant perdurer le statu quo, alors que la  situation qui prévaut  ne supporte  ni attentisme ni manœuvres politiciennes.
En jouant les prolongations et en distillant la même attitude optimiste, Habib Jemli, Chef de gouvernement désigné, court plus que jamais le risque de payer les frais de son choix par Ennahdha à ce poste, avant même qu’il ne prenne les commandes de la Kasbah. En optant pour un illustre inconnu, une figure de troisième rang, l’on se demande si le parti islamiste a cherché à brouiller les cartes, à tâter  le pouls des formations politiques et à gagner du temps, plutôt qu’à remettre le pays sur les bons rails.
Les atermoiements observés, les hésitations des partis politiques,  le grand brouillard qui entoure encore la formation du prochain gouvernement  et les contradictions flagrantes qui caractérisent son discours, témoignent des limites de Habib Jemli, incapable de trouver les bons arbitrages et les repères qui lui permettent d’agir sans subir les influences qui fusent de toute part.
Dans tous les cas de figure, l’opération de formation d’un gouvernement, qualifiée abusivement de réalisation, risque d’être un processus complexe, tortueux, voire impossible dans la configuration actuelle marquée par la fragmentation des forces politiques.
Ce qui complique davantage cette entreprise, ce sont à l’évidence les déclarations contradictoires du Chef du gouvernement désigné, qui cachent mal son incapacité manifeste à avoir une emprise sur les événements. En jouant tantôt la carte de l’optimisme, en cherchant à élargir à l’extrême le cercle de ses concertations, recevant à tour de bras des personnalités triées parfois au hasard, et tantôt la carte du réalisme qui se décline à travers ses incertitudes sur l’issue de ces interminables réunions, Habib Jemli donne l’impression que tout lui échappe.
A défaut d›être bien conseillé, il se fourvoie dans des exercices dont il ne maîtrise plus l’impact, se hasardant à dire  la chose et son contraire,  multipliant les bourdes et confirmant les idées avancées sur  ses qualités peu avérées d’être un bon chef d›orchestre, un animateur d›une équipe gouvernementale et l’homme de la situation dans le contexte difficile actuel que traverse le pays.
En effet, tout en sollicitant une période de prolongation pour pouvoir former son gouvernement,  ce qui témoigne de son échec à trouver un consensus après plus d’un mois de concertations infructueuses, Habib Jemli promet, sans être sûr de le faire,  que son équipe gouvernementale sera prête dans une dizaine de jours.
Le comble, c’est qu’il fournit un mauvais argument quant à son impuissance à former une alliance pouvant recueillir l’assentiment  d’Ennahdha, piégé par sa victoire étriquée aux dernières Législatives et faisant face à une opposition forte et déterminée. En soutenant    que la période écoulée a été consacrée à mettre en place une nouvelle méthode de travail gouvernemental, le Chef de gouvernement désigné ne fait que fuir ses responsabilités et foncer droit au mur.
Tout cela montre que, malgré les urgences, l’impératif d’enclencher un processus de réformes essentielles pour remettre la machine économique en état de marche, redonner aux Tunisiens espoir  en l’avenir, conduire un véritable changement, après plus de huit ans d’inaction, et donner effectivité à certaines promesses électorales claironnées tout au long des scrutins, le pays continue à vivre dans l’expectative, l’incertitude. A tous les échelons, on ne voit encore rien venir, on continue à tourner en rond et à perdre un temps précieux qui aurait pu être mis à profit  pour mettre un terme à toute improvisation dans la gestion des affaires publiques.
Manifestement, le président Kaïs Saïed, symbolise parfaitement cet attentisme pesant, lui qui est censé donner une nouvelle impulsion aux relations de la Tunisie avec ses principaux partenaires économiques, donner un signal clair sur son engagement à faire bouger les lignes.  Plus de deux mois après son accession à la magistrature suprême, tout ce qu’il est en train d’entreprendre reste en décalage avec les missions qui lui sont dévolues et, surtout, les grandes priorités auxquelles il est appelé à conférer effectivité.  Le président de rupture  semble avoir du mal à rompre avec les vieilles  habitudes qui ont la peau dure et à trouver la bonne formule qui lui permet de joindre la parole à l’acte.

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