Un président de rupture

Le profil du prochain  président de la  République,  que les Tunisiens auront à élire  le 15 septembre prochain,  sera à la fois  atypique et  totalement différent de ceux  qui se sont succédé à la magistrature suprême du pays  depuis 2011. La pléthore de candidats en course pour Carthage marquera inévitablement une rupture avec le passé et  un changement de cap dans le processus d’alternance pacifique au pouvoir dans notre pays.
En dépit de l’inflation des prétendants, de la diversité de leurs profils,  de l’inconsistance des programmes présentés,  du climat de tension persistant, de la guerre fratricide à laquelle  se  livrent  des candidats du même camp et du caractère imprévisible de ce scrutin crucial, les  Tunisiens assumeront une responsabilité essentielle.  Il leur reviendra de choisir le candidat qui devrait être théoriquement  le meilleur garant de la civilité de l’Etat et  des libertés et qui satisfait le mieux à leurs rêves et  attentes.

Le couac, dans l’état d’ébullition que vit la Tunisie depuis plus d’un mois,  cet oiseau rare, porteur de projet, d’espoirs et de rêve, tarde à se manifester ou à sortir du lot. Bien au contraire,  au fur et à mesure que la campagne  électorale gagne en intensité, le brouillard ne peut que s’épaissir davantage,  les cartes  de se brouiller et les inquiétudes de se renforcer.  Dans cette course d’obstacles pour Carthage, candidats, partis politiques et médias notamment, sont en train de donner le mauvais exemple, déviant le processus  électoral de sa vraie trajectoire et donnant un coup de boutoir à une jeune  démocratie sans cesse contrariée par des vagues rebelles.  Aux grandes manœuvres suspectes des partis  politiques et des candidats, qui se livrent à des opérations de lynchage systématique via les réseaux sociaux et qui n’ont pas reculé à instrumentaliser les médias audiovisuels et électroniques, l’ISIE et la HAICA se montrent quasiment impuissantes, désarmées et incapables de maîtriser la situation.
Dans cette course pleine d’incertitudes  où les candidats partent avec des chances inégales, des moyens disproportionnés,  des programmes parfois  en trompe-l’œil et des visions approximatives, ce ne sera pas certainement le meilleur qui atteindra la ligne d’arrivée. Il ne faut pas oublier une évidence « qu’en politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal ».
Au train où vont les choses, il va falloir composer avec plusieurs inconnues, s’attendre à  de grandes surprises,  à des rebondissements spectaculaires,  à des désistements de dernière minute et à une montée des  populistes.
C’est seulement en Tunisie  qu’un candidat, crédité des pronostics les plus favorables  et  actuellement incarcéré,  pourrait être propulsé au deuxième tour en damnant le pion à d’autres prétendants qui croyaient que l’affaire était acquise. Il n’est pas exclu qu’il finira par récolter un retour sur investissement de toute l’action qu’il a entreprise depuis maintenant deux  ans   un peu partout dans le pays, sous couvert  d’humanitaire et d’associatif. C’est également seulement en Tunisie qu’un candidat, en fuite  à l’étranger et objet d’un mandat de dépôt, pourrait fausser tout le jeu électoral et barrer la route à d’autres candidats  de l’establishment.
C’est, enfin, seulement en Tunisie  qu’un candidat  pourrait mener sa campagne à distance via sa chaîne satellitaire basée à l’étranger et déjouer tous les pronostics. Dans ce tumulte, il  sera très difficile d’avancer un pronostic sur le  futur locataire de Carthage, parce que tout simplement, la Présidentielle anticipée du 15 septembre  diffère, de fond en comble, de celle  de 2014. Si lors de la dernière élection, la bataille opposait deux visions  sociétales antinomiques, à savoir les modernistes contre les défenseurs du projet islamiste, cette fois-ci, le débat public  se focalise sur des broutilles  en ayant pour  toile de fond des velléités revanchardes.
Manifestement dans la configuration actuelle, le vainqueur sera celui qui saura  profiter le plus de la dispersion des voix, de l’immaturité de ses concurrents,  de leurs erreurs aussi  et du jeu d’influence que jouera son équipe pour séduire des électeurs  récalcitrants et désabusés.
Le vainqueur sera vraisemblablement celui qui sortira des urnes, non  pas avec une forte participation populaire, mais celui qui  fournira aux Tunisiens des arguments qui leur permettent de rebâtir une  confiance en l’avenir et de se prévaloir en  gardien de la Constitution, des droits,  des libertés, de la civilité de l’Etat  et de la sécurité du pays et de son intégrité. Il faut espérer  quand même que les Tunisiens seront nombreux aux urnes le 15  septembre et participeront,  par leur engagement citoyen,  à fausser  les prédictions les plus pessimistes. La jeune démocratie tunisienne a besoin d’un tel sursaut citoyen et d’une telle implication pour que  ses fondements  se renforcent et que ses avancées  soient  irréversibles.

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