Un printemps qui tarde à éclore

Depuis la «libération» du pays puis la victoire de l’alliance «libérale» aux élections législatives de juillet 2012 (39 sièges pour l’alliance et 17 pour les Frères musulmans), la Libye n’en finit pas de défrayer la chronique, rarement pour annoncer de bonnes nouvelles.

 

Après avoir été géré, dans une indifférence quasi générale, d’une main de fer par le colonel Kadhafi et ses acolytes, le pays est aujourd’hui la proie de profondes dissensions tribales, ethniques, politiques et confessionnelles presque systématiquement instrumentalisées à des fins politiciennes par toutes les parties en présence, accentuant ainsi l’imbroglio.

Le pays est désormais l’objet d’une guerre pour le pouvoir qui ne fait pas de quartier, menace la cohésion nationale et met à mal les grilles d’analyse habituellement de mise.

 

Tensions et revendications

L’immense Libye voisine, sombre peu à peu dans le chaos. 

Tensions tribales, revendications ethniques, milices aux ordres, etc., la boite de Pandore ouverte depuis la fin de l’ère Kadhafi, n’en finit plus de déverser ses maux sur le pays.

Au fil des dépêches qui parviennent quotidiennement aux différentes agences de presse internationales, la litanie des attentats, assassinats, enlèvements, etc., ne cesse de grossir. Dans un rapport publié le 8 août 2013, l’ONG Human Rights Watch dénombrait une cinquantaine de meurtres non revendiqués, commis depuis l’année dernière. Et personne n’est à l’abri, hommes politiques, militants, avocats, officiers de police ou militaires sont autant de cibles potentielles. 

À ce regain de violence s’ajoutent des revendications multiples émanant de minorités longtemps opprimées.

Jusque-là pacifique, la forme des revendications ethniques ou tribales connait depuis la mi-juillet un revirement qui menace de dégénérer. Après les menaces par les minorités Amazigh, Touareg et Toubou de boycotter l’élection de la commission chargée de rédiger la Constitution, puis la mise à sac, mardi dernier, d’une salle de l’Assemblée nationale par des protestataires Amazighs, c’est maintenant l’oléoduc de Nalout, dans l’ouest du pays, qui est aux mains d’un groupe armé de militants Amazighs qui en bloque la production. Et le blocage de cet oléoduc, qui alimente l’Italie, cause déjà des pertes considérables à l’État libyen.

Les prétentions régionalistes, autrefois étouffées par l’armée de Kadhafi, connaissent une inflation sans précédent depuis la Révolution.

En Tripolitaine, la tribu originaire de Misrata se découvre de volontés expansionnistes et livre d’intenses combats pour le contrôle de la région et espère par la même occasion éliminer ses concurrents Warfallah, l’immense tribu majoritaire dans l’ouest de la région.

Le grand Sud du pays, éloigné des instances du pouvoir, est livré à des bandes informelles qui s’adonnent au brigandage et connaît régulièrement des conflits interethniques.

Même chose aussi pour la Cyrénaïque qui voit de plus des fondamentalistes musulmans affronter des «traditionalistes» rassemblés sous la bannière soufie…

La gigantesque et richissime mosaïque libyenne, objet de toutes les prédations, pourra-t-elle résister encore longtemps à de tels déchirements ?

 

Un État en lambeaux

Le système Kadhafi, qui se caractérisait par des structures officielles fantoches mises en place dans les ministères de la Justice, de l’Intérieur et de la Défense n’a laissé derrière lui que des coquilles vides.

Dans de telles conditions l’État libyen peine à exister, il lui est donc encore plus difficile de se faire respecter sur toute l’étendue du territoire. L’armée et la police qui se sont avérées défaillantes (manque de professionnalisme, clientélisme) ont fait le lit des milices parallèles, officielles ou non, confessionnelles, mercenaires, etc.

La milice salafiste Ansar Al Charia, dont le siège se trouve à Benghazi, a pour sa part intégré la brigade dite du « bouclier de la Libye » qui dépend formellement du ministère de la Défense et est régulièrement envoyée en régions pour rétablir l’ordre à sa manière. Comptant dans ses rangs d’anciens combattants d’Irak ou d’Afghanistan, la milice salafiste a été officiellement mandatée pour assurer la protection de son fief, Benghazi, par le commandement de la sécurité préventive. Ainsi les islamistes se sentent libres de faire «respecter» leur vision de l’Islam.

Et depuis plusieurs mois, on assiste à la destruction de mausolées maraboutiques ou de zaouïas à Tripoli, Zliten, Benghazi… devant des milices qui laissent faire, quand elles ne participent pas. C’est la population elle-même qui s’est interposée plusieurs fois pour tenter, avec plus ou moins de succès, de sauver ce patrimoine qui est le sien.

Pour parachever le tableau et pointer du doigt l’état de délabrement général de l’État, le ministre libyen de l’Intérieur, Mohamed Al-Cheikh, a avancé officiellement, lundi 12 août, le chiffre de «14.000 anciens prisonniers qui purgeaient des peines, dont la peine capitale et la perpétuité [et qui] jouissent aujourd’hui d’une liberté totale après leur évasion des prisons [depuis 2011].»

Le vendredi 9 août, jour de la fête de l’Aïd El Fitr dans tout le monde musulman, les affrontements ont fait plusieurs morts et blessés, et ces malgré la mise en place dès la veille d’un important dispositif sécuritaire ordonné par le Conseil général national, l’instance politique et législative du pays.

 

Une classe politique qui se cherche… et ne se trouve pas

Qu’elle soit victime ou initiatrice, la classe politique libyenne vit cependant aux rythmes des soubresauts du clientélisme et de la collusion. Ainsi les alliances ne sont pas le fruit de parentés idéologiques, mais se font et se défont au gré de calculs immédiatement rentables, en fonction des appartenances claniques, tribales, confessionnelles, etc., et survivent le temps qu’elles peuvent.

La récente victoire de juillet 2012 aux élections législatives d’une coalition «libérale» devant les Frères musulmans, avait suscité les espoirs d’une communauté internationale toujours prompte à définir des lignes franches entre les différentes factions. C’était sans compter avec la spécificité libyenne. Car peu après les élections, la nouvelle Assemblée se choisissait Moustapha Abou Chagour pour président, un islamiste, «modéré» d’après lui, qui n’avait pourtant obtenu que trois sièges aux élections.

Par ailleurs, confrontés à un tel écheveau de complications, certains hommes politiques baissent les bras. À l’image du vice-Premier ministre, Awadh Al Barassi, qui a annoncé sa démission samedi 3 août lors d’une conférence de presse. Une démission acceptée par le Premier ministre, Ali Zeidan, qui s’est dit «surpris» par une telle décision. Issu du parti de la Justice et de la Construction lié aux Frères musulmans, Awadh Al Barassi a expliqué sa démission en évoquant «des problèmes et des obstacles qui ont eu lieu dans les différents secteurs de l’État, la détérioration de la sécurité et les assassinats découlant de la politique de décentralisation administrative adoptée par ce cabinet.»

Quant à Bernard-Henri Lévy, il va bien et projette d’écrire un nouveau roman.

Gilles Dohès

 

 

Brèves

Algérie 

Combattre le chômage

Le gouvernement algérien a entamé les préparatifs d’une redynamisation du tissu économique du pays, où le secteur privé est en pleine croissance depuis plusieurs années malgré l’existence de lourdeurs administratives. Conjointement à cette conférence, le gouvernement algérien s’attelle à mettre en place un vaste plan de départ à la retraite dans la fonction publique et le secteur public, et ce afin d’assurer les remplacements par de jeunes actifs. Ce plan devrait être effectif à partir de septembre prochain.

 

Algérie-Maroc

Contrebande

Dans le cadre de sa lutte contre la contrebande de carburant, le gouvernement algérien a renforcé le dispositif de sécurité sur la frontière avec son voisin marocain. Ce resserrement sécuritaire a eu pour effet une hausse conséquente du prix du carburant à la pompe dans l’Oriental marocain qui, à son tour, a généré une hausse des tarifs des transports. Le ministre de l’Intérieur algérien, Dahou Ould Kablia, estime pour sa part que les mesures prises dans ce sens depuis juillet dernier ont permis une régression de 50% du trafic entre les deux pays.

 

Libye

Les dessous d’une démission

Mohamed Khalifa Al-Cheikh, ministre de l’Intérieur libyen, a présenté sa démission au Congrès général national et au Premier ministre dimanche 18 août. Alors que le pays est la proie d’une insécurité grandissante, le porte-parole du ministère a précisé que « le ministre donnera lecture d’un communiqué expliquant les raisons de sa démission. » Selon les dires de députés présents lors de la lecture de la lettre de démission, Mohamed Khalifa Al-Cheikh, a déploré un manque d’appui, financier et moral, dans la mise en œuvre de son programme de réformes ainsi qu’un manque de prérogatives pour assurer ses fonctions. 

 

Mauritanie-Égypte

La patrie avant les partis

Dans une déclaration publiée par l’agence de presse PANA, vendredi 16 août, le gouvernement mauritanien a appelé à l’arrêt des violences, qui ont déjà fait plusieurs centaines de morts en Égypte, dans des affrontements entre les forces de sécurité et les partisans de  Mohamed Morsi. Évoquant les risques d’une guerre civile, la déclaration en appelle «à la conscience patriotique, à la responsabilité politique et au devoir moral de tous, pour transcender les divergences idéologiques, les intérêts partisans et les positions sectaires.»

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