Classée ou pas classée ? quelles conséquences et quels impacts ? Désormais on ne s’interrogera plus sur le rang de la Tunisie dans le rapport sur la compétitivité mondiale du Forum économique mondial de Davos (WEF), mais plutôt sur le fait de savoir si elle est classée ou pas. Focus
Après avoir été épargnée du classement sur la compétitivité mondiale sur la période 2012-2013, la Tunisie réapparait dans le classement 2013-2014. Résultat, la Tunisie est à la 83e place, sur un total de 148 pays, soit 43 places perdues en deux ans. Elle était classée 40e sur 142 pays lors du précédent classement (2011-2012). Rappelons que les experts de Davos sur la compétitivité mondiale (2012-2013) avaient décidé «de ne pas communiquer les résultats de cette année, en raison d’un changement structurel important dans les données qui a rendu les comparaisons avec les années passées difficiles», ajoutant «espérer, dans l’avenir, inclure de nouveau la Tunisie dans le classement». En effet la Révolution qui a conduit la Tunisie à une transition ne permettait pas une éventuelle évaluation. La Tunisie était en plein changement structurel ce qui influait sur la perception du climat des affaires. Pour l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE) — partenaire de Davos chargé de la collecte des données auprès des entreprises privées, pour le compte du Forum de Davos —, il s’agissait d’un «signal d’alerte» quant à la «possibilité d’une importante dégradation de la Tunisie dans le classement de Davos », mais qui laisse au pays «un laps de temps pour se rétablir, pour le prochain classement». Selon des économistes ce classement aurait pu permettre à la Tunisie de mesurer l’ampleur des dégâts engendrés par la Révolution et d’identifier les actions qu’il fallait entreprendre pour reprendre notre rang et avancer dans le classement. On aurait pu savoir notamment ou nous en étions par rapport à l’attractivité d’investissements extérieurs et la capacité de création de la valeur ajoutée et de l’emploi, sachant que la compétitivité est déterminante pour toute entreprise tunisienne en particulier et pour l’économie nationale en général. Pour d’autres économistes, le non-classement de la Tunisie était une prise de conscience de la part du Forum économique mondial de Davos sur la situation conjoncturelle de la Tunisie et sous-entendait qu’il faudrait donner du temps au pays pour se reconstruire.
La Tunisie est à la traîne
Cette alerte aurait dû pousser le gouvernement, les organisations patronales et syndicales et la société civile à engager une nouvelle dynamique collective de relance et de rattrapage. Et ce en garantissant un climat d’affaires stable, prospère et sécurisé. Mais ça n’a pas été le cas. Pour preuve, la Tunisie est à la traine dans le classement de 2013-2014, réalisé à partir de l’analyse de 114 variables mesurant la qualité des infrastructures, de l’environnement, des institutions politiques, de l’enseignement, du système de santé ou encore le niveau de la productivité et de l’innovation. 34 variables sont collectées à partir de rapports fait par des institutions publiques et des organisations internationales, notamment le FMI et la BM. L’analyse est fondée également sur 80 variables basées sur des évaluations moins objectives. Il s’agit d’enquêtes faites sur un nombre précis d’entreprises. Les questions concernent plus les milieux d’affaires et établissent le baromètre qui détermine la compétitivité de l’entreprise et de l’économie du pays. Ce qui est très suivi par la communauté internationale. Selon le classement général, de nouvelles variables s’ajoutent dans l’évaluation de la Tunisie, à savoir le coup du terrorisme, le coup de la violence et des crimes et crimes organisés. La Tunisie se classe respectivement à la 137 e, 117e et à la 100e place sur 148 pays. Même la Libye, qui devient un arsenal à ciel ouvert et qui exporte vers la Syrie et des pays subsahariens, est classée devant nous.
Selon les experts de Davos, l’origine du nouveau recul de 2013 viendrait en partie de l’efficacité des Conseils d’administration des entreprises tunisiennes (124e place). En effet, les chefs d’entreprises assument une grande responsabilité dans la dégradation de la note de la compétitivité de la Tunisie. En revanche les préoccupations des hommes d’affaires concernent plus la stabilité politique, la bureaucratie (116e place), l’accès au financement et l’infrastructure. Celle-ci n’a pas bougé, mais ce sont d’autres pays qui ont progressé dans leur infrastructure. Quant aux indicateurs macroéconomiques, la Tunisie a régressé dans l’ensemble des variables. Pour le déficit budgétaire on est passé de la 35e à la 117e place. En termes d’inflation la Tunisie est à la 99e place. Par rapport au climat des affaires, le rapport de Davos fustige la charge fiscale effective totale d’une entreprise, la Tunisie est à la 130e place. Par rapport au coup de l’import, la Tunisie est classée à la 140e place. Visiblement la Tunisie a perdu presque tous ses points forts. Les points positifs concernent des variables dont l’impact est insignifiant : la baisse du taux de la mortalité, le pourcentage des enfants scolarisés à 6 ans. Ceux-ci ne permettent en aucun cas de faire oublier les faiblesses mentionnées ci-dessus. La compétitivité de la Tunisie est profondément touchée. La Tunisie se classe à la 9e place par rapports aux pays arabes et à la 6e place en Afrique. La Tunisie est devancée pour la première fois par son concurrent direct, le Maroc. Rassurant ou pas, la Grèce, avec qui certains comparent la situation de la Tunisie, est à la 91e place.
Voyant ce rapport, la Tunisie reste-t-elle un lieu sûr pour des investissements étrangers ? Sachant que le Forum économique mondial de Davos n’est pas la seule organisation à mettre en garde la Tunisie sur la dégradation de son climat des affaires et de son économie globalement. Selon l’IACE, les conséquences de ce rapport seront immédiates sur les IDE. On craint aussi pour les IDE déjà implantés en Tunisie, car ils peuvent se tourner vers des sites voisins plus compétitifs. Les parties prenantes sont-elles conscients du problème ? Pas nécessairement puisque, malgré les propositions de sortie de crise faites par l’alliance UGTT-UTICA, les politiciens campent sur leurs positions. Certes la Tunisie n’est pas actuellement en faillite, mais pourrait l’être si le conflit politique perdure. La politique demeure le signe le plus évident de la dégradation de la compétitivité de la Tunisie. Gagner en compétitivité est un sujet de mobilisation majeur, tout le monde doit s’y mettre.
Le Davos dans le monde
La Suisse est à la tête du peloton mondial, conservant ainsi sa place de l’année dernière. Elle est suivie par Singapour, la Finlande, l’Allemagne, et les États-Unis. Dans la région MENA, le Qatar est à la 1ère place (13e /148), suivi par les Émirats arabes unis (19e), l’Arabie saoudite (20e) et le Maroc se situe à la 77e place. Quant aux pays du Printemps arabe, l’Égypte est à la 118e place mondiale, la Libye à la 108e place, tandis que le Yemen est à 145e place. La Syrie quant à elle n’a pas été classée.
Najeh Jaouadi