Une addiction qui ne dit pas son nom: Les jeux de la discorde

Une addiction qui ne dit pas son nom: Les jeux de la discorde

C’est un couple uni, qui a fait un mariage d’amour et qui se retrouve aujourd’hui au bord du divorce… La raison de leur désaccord a de quoi étonner puisqu’il s’agit de jeux vidéo ! Car il n’y a pas que les adolescents qui sont continuellement scotchés à leurs consoles de jeux, c’est un mal qui touche tous les âges et toutes les classes sociales.

Plongée dans un univers étrange, fait de solitude et d’addiction inéluctable, avec parfois des problèmes inattendus…

Vous vous souvenez peut-être de ce fait divers qui avait choqué toute la Corée du Sud, et même le monde entier, il y a tout juste un an: un jeune papa de 22 ans, addict aux jeux vidéo, a laissé son bébé de deux ans mourir de faim ! Une affaire qui en rappelait une autre, qui s’est déroulée dans ce même pays en 2009, lorsqu’un jeune couple avait laissé son bébé de trois mois mourir de faim, alors que ses parents indignes s’oubliaient durant des jours et des nuits à jouer sur Internet…

Un sociologue définit cette addiction en ces termes : « la dépendance aux  jeux vidéo désigne un besoin irrésistible et obsessionnel de jouer, entraînant un comportement compulsif. Depuis quelques années, les médecins préfèrent parler de pratique excessive car il n’y a aucun consensus sur l’existence d’une réelle addiction aux jeux vidéo. »

Pour en revenir à notre couple tunisien qui est en cours de séparation, cela a commencé quelques semaines après le mariage : le jeune marié s’est mis à s’isoler dans une petite pièce pour jouer sur sa console. Sa femme raconte : « il jouait chaque soir jusqu’à cinq heures d’affilée, en plus des week-ends. Le pire c’est que ces jeux sont violents, bruyants, conçus pour des adolescents en mal de sensations  fortes. En plus, il ne m’aidait jamais pour les soins du bébé, pour les petits travaux domestiques ou le payement des factures. On ne se parlait plus, on ne sortait plus et tout cela m’a épuisée, alors, on en est arrivé au divorce. »

Lui ne voit pas les choses sous le même angle, même s’il reconnait sa culpabilité du bout des lèvres : « bon, c’est vrai que parfois j’exagérais un peu, mais c’est mieux qu’un mari qui va s’enivrer dans les bars ! Et en plus, jouer me permet de dégager cette anxiété oppressante dont je souffre depuis mon jeune âge. Je lui ai promis de faire des efforts pour sauver notre couple mais sincèrement c’est trop difficile d’arrêter… »

Candy Crush

Et effectivement, un psychologue nous affirmera que « cette addiction est le reflet de divers problèmes psychologiques, mais aussi relationnels, sociaux et physiques, comme l’absence d’activité sportive, et les problèmes que cela occasionne. Le  joueur est alors victime d’impulsions psychiques qui le poussent à s’adonner aux jeux vidéo, afin d’obtenir un plaisir ou d’éliminer une tension, un malaise».

Le phénomène nouveau, c’est que le jeu à la mode depuis quelque temps ne se passe plus sur les consoles ou les PC, mais sur les téléphones portables, qui vous accompagnent où que vous soyez. Le jeu le plus populaire, c’est le Candy Crush qui occupe la première place, avec ces bonbons virtuels que l’on ne peut pas manger et qui empoisonnent la vie de milliers d’obsédés. C’est le cas de Karim, informaticien, qui n’arrive pas à décoller ses yeux de son portable : « je suis toujours en compétition avec mes amis sur les réseaux sociaux. Je dois les dépasser et faire les meilleurs scores possibles… »

En fait, il est en train d’atteindre le stade final de la consommation pathologique, avec une perturbation du fonctionnement social, intellectuel et affectif. « Je joue dès que j’ai une petite pause, mais aussi en mangeant, en regardant un match de foot et même aux toilettes. J’ai conscience que cela devient obsessionnel, mais je n’y peux rien », nous avoue notre jeune informaticien.

Il n’y a cependant pas de dépendance physique aux jeux vidéo, contrairement aux drogues, à la nicotine ou à l’alcool. Il n’y a pas de syndrome de sevrage lors de l’arrêt de l’activité. On trouve parfois des troubles physiques comme l’amaigrissement, notamment chez les joueurs qui oublient de s’alimenter. Dans les cas les plus graves, on remarque que les yeux sont desséchés, avec des migraines, des douleurs dorsales et cervicales, des troubles du sommeil…

Des mains déformées

De nombreux termes sont apparus pour qualifier cette addiction aux jeux vidéo. Un spécialiste tunisien, lui-même grand joueur, nous en présente quelques uns : « un « geek » est un obsédé de tout ce qui est relatif à l’informatique. À l’origine, ce terme anglais signifiait fada ou fou, sorte de clown de carnaval. Un « nerd » désigne un passionné par les jeux et tout ce qui touche aux technologies. Il est souvent asocial… »

Évoquant le Japon, notre spécialiste nous a aussi parlé du «hikikomori qui désigne une pathologie psychosociale et familiale qui touche les adolescents vivant cloîtrés chez eux pendant plusieurs mois, refusant de communiquer avec leur famille. Ils ne sortent de leur chambre que pour satisfaire des besoins naturels ! Il y a aussi le «nolife » qui désigne un joueur qui consacre tout son temps à jouer. C’est une variante du hardcore gamer, qui désigne un joueur qui passe ses journées à tenter d’obtenir les meilleurs scores, en jouant seul ou contre d’autres partenaires ».

Généralement, les joueurs problématiques se recrutent parmi les adolescents dont l’encadrement parental est faible. Les adolescents indiquant qu’ils ne peuvent pas parler facilement à leurs parents, ni trouver du réconfort auprès d’eux, sont également plus sujets aux comportements problématiques de jeu. L’un des rares adolescents qui a accepté de parler de son addiction nous relate sa vision des choses.

« Je suis accro aux jeux vidéo et il m’arrive de passer des nuits blanches devant mon ordinateur. Il y a le plaisir de jouer, la compétition avec des amis virtuels, une sorte de communauté où on est libre, loin de toute forme d’autorité : ni profs, ni parents. Je n’ai pas envie de vivre dans la réalité, car elle est trop triste avec ces attentats et ces images violentes. Moi au moins je ne tue que des êtres virtuels… »

Face à ces phénomènes que certains parents qualifient d’étranges, les adultes se trouvent démunis, incapables de gérer leurs enfants, avec parfois des conflits graves. Une maman de 42 ans ne comprend pas ce qui arrive à son fils : « mais où est passé mon fils si doux et si obéissant ? Je ne le reconnais plus, il ne me parle plus et ne vient plus à table partager nos repas… Même ses mains sont déformées à force de manipuler sa console et sa souris d’ordinateur. Je suis désespérée ! »

Le désarroi de cette mère se retrouve partout où les manettes et autres consoles ont pris le pouvoir. Notre sociologue tente de trouver une solution à ce phénomène : « il faut d’abord former les parents à l’informatique et aux usages  d’Internet. Il faut aussi gérer les outils du contrôle parental et surtout tenter d’instaurer un dialogue avec ces jeunes. »

En fait, les parents d’adolescents ont besoin de soutien et seules des associations spécialisées pourraient leur apporter cette assistance. En outre, chez nous, les campagnes de prévention sont quasiment inexistantes. L’addiction aux jeux vidéo étant un phénomène relativement nouveau, sa prévention n’a jusque-là été supportée que par les familles, souvent impuissantes devant un phénomène qui les dépasse. Il est donc urgent d’agir avant que cette addiction ne devienne un phénomène de santé publique…

Yasser Maârouf

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