Une autre lecture

On connaît enfin la nouvelle Instance supérieure indépendante pour les élections qui va organiser les prochaines élections sous l’autorité de l’Etat d’exception : le référendum du 25 juillet et les Législatives anticipées du 17 décembre. Sept membres ont été désignés au lieu de neuf (composition de 2011) –exit le représentant chargé de la communication par exemple- et trois d’entre eux, dont le président, font partie de la vieille garde pour compenser l’absence totale d’expérience en matière électorale chez les quatre autres. La prise en compte de ce point est essentielle vu que le temps imparti à la nouvelle Isie, pour garantir la tenue des élections dans les délais, est très réduit. D’ailleurs, l’équipe de Farouk Bouaskar s’est empressée trois jours plus tard de tenir sa première réunion de travail qui a abouti à l’annonce au public du calendrier des préparatifs du référendum du 25 juillet. Il faut reconnaître que sans les anciens, Farouk Bouaskar, l’actuel président et vice-président de l’instance depuis 2019, Mohamed Tlili Mansri, ancien président de l’instance (élu en 2017) et Sami Ben Slama, membre démissionnaire (élu en 2011), les nouvelles recrues n’auraient pas pu faire preuve d’autant de dynamisme et avec autant de rapidité. Rendons donc à César ce qui revient à César et osons porter, pourquoi pas, une autre lecture sur le tollé provoqué par ces nominations auxquelles on a fait porter le gage de la non-indépendance de la nouvelle Isie.

Celle-ci est en effet accusée de subordination au président Kaïs Saïed parce que ses membres ont été choisis par lui. Nuance. Hormis les trois anciens membres, choisis effectivement par Kaïs Saïed, les trois autres magistrats ont été sélectionnés par leurs corporations respectives (ordres judiciaire, administratif et financier) et l’ingénieur spécialisé en systèmes et sécurité informatiques, ancien Directeur général de l’ANSI), par la profession. Kaïs Saïed a finalement pioché dans les propositions venant des structures professionnelles (trois noms pour chaque catégorie), il n’avait donc pas beaucoup de choix, faut-il l’avouer. Saurait-on d’ailleurs si une femme avait été proposée parmi les trois  nouveaux magistrats ou avec l’expert en cyber-sécurité ? Quant au nombre des membres réduit à sept, hormis une probable surcharge de travail sur la nouvelle équipe, que doit-on regretter ou craindre ? Au volet communication, le parent pauvre de toutes les institutions étatiques, le staff de l’Isie pourrait simplement désigner parmi les anciens, plus expérimentés, un porte-parole pour fournir aux médias l’information utile en temps opportun.

Il reste un autre point capital, lié aux déclarations scabreuses du président de la République qui, à maintes reprises, a accusé l’ancienne Isie de non-indépendance, mettant en doute sa transparence et les résultats des précédents scrutins. Quelle idée pour un élu qui pourrait se retrouver candidat à sa propre succession dans un proche avenir ! Ses adversaires n’en ont d’ailleurs fait qu’une bouchée mettant en doute, par ricochet, ses 72% de votes obtenus en 2019. C’est de bonne guerre, dirait-on. Mais ce que les adversaires de Kaïs Saïed occultent, sans doute sciemment, c’est que les infractions électorales observées dès les scrutins de 2011 en pleine euphorie révolutionnaire, c’est la Cour des comptes qui les a épinglées et signalées dans ses différents rapports, non Kaïs Saïed. Par ailleurs, aurait-on déjà oublié les réserves émises et sans cesse rappelées par un large pan de la classe politique, de la société civile,  des journalistes et des ONG internationales quant à la mainmise des partis politiques influents, spécialement le mouvement Ennahdha, sur certains membres de l’Isie ?  Nabil Baffoun, le président sortant, était étiqueté comme l’homme de Rached Ghannouchi à l’Isie et récemment, des déclarations médiatiques ont même prétendu que son prédécesseur, Chafik Sarsar, aurait démissionné de l’Isie sous la pression du président d’Ennahdha. Une démission jamais expliquée ni comprise avant ces récentes déclarations, qui viennent après que Kaïs Saïed eut décidé de changer l’équipe de l’isie et surtout d’éloigner Nabil Baffoun.

Contrairement à ce que les adversaires de Kaïs Saïed veulent faire croire aujourd’hui, les Tunisiens n’ont pas la mémoire courte et ils se rappellent encore que l’éviction des taupes partisanes de l’Isie et surtout de l’équipe du siège central, était souhaitée par beaucoup de monde, notamment par les adversaires d’Ennahdha. Aujourd’hui, c’est chose faite. Rached Ghannouchi et ses alliés ont le droit de s’y opposer et de protester, ils n’ont plus pied à l’Isie, ni au CSM, ni à la Kasbah, ni à Carthage. C’en est trop pour un parti politique qui a gouverné pendant dix ans devant et derrière les rideaux, sous les feux de la rampe et dans les chambres obscures, mais qui jure encore n’avoir été qu’un petit collaborateur. « C’est Nidaa Tounes de Béji Caïd Essebsi qui est responsable de tous les malheurs de la Tunisie post-révolution », répètent à tour de rôle les dirigeants nahdhaouis à qui veut bien les entendre. Ennahdha et ses alliés sont aux abois depuis le 25 juillet 2021 et pour cause. Kaïs Saïed est menaçant, clivant et têtu, face à des nahdhaouis qui visiblement sont intouchables, ils bénéficient, à n’en point douter, d’une protection solide, mais pas de l’intérieur de la Tunisie. Ce qui explique le retour en force d’Ennahdha sur la scène politique sous d’autres formations politiques, d’autres visages… Les islamistes sont en effet toujours là et ils veulent revenir à l’ARP, à la Kasbah et pourquoi pas à Carthage. L’espoir est permis quand leur principal adversaire qui détient tous les pouvoirs se laisse submerger par leur détermination à ne pas lui céder une once du pouvoir. La présidente du PDL les accuse d’ailleurs, sur la base d’informations fiables selon elle, de fomenter un coup d’Etat contre le président Kaïs Saïed avec une assistance étrangère.

La nouvelle Isie vient dans un climat politique très perturbé. Alors qu’elle était leur motif de fierté avec l’ancienne équipe, ses détracteurs qui se soucient pour son indépendance critiquent le fait qu’elle compte d’anciens membres. Il faudrait alors comprendre : les anciens sont indépendants ou non ? Il ne faut pas s’attendre à une réponse claire de qui que ce soit, ni aujourd’hui ni un autre jour, avant les élections, parce qu’il s’agit d’un procès d’intention.

Les malheurs de la nouvelle Isie ne font que commencer. Ceux qui veulent faire capoter le référendum sont déjà à l’œuvre. Une polémique est née sur des divergences de vue entre ses membres au sujet du délai attribué à l’enregistrement des nouveaux électeurs et leur nombre. L’Instance a proposé dix jours pour l’inscription de 70 mille. Trop peu pour Sami Ben Slama, ancien membre, qui explique sa désapprobation vis-à-vis de ce qui a été décidé en interne dans un statut facebook. La bonne méthode pour mettre les bâtons dans les roues de l’Isie, à moins qu’il y ait des partis ou des personnalités qui cherchent à retarder le référendum et les Législatives de décembre prochain.

Il reste qu’en dépit de tout et de tous, l’espoir doit renaître, celui de voir la Tunisie réussir ses échéances électorales et sortir de la crise politico-économique. Kaïs Saïed en a la clé, il doit ouvrir grandes les portes du dialogue et tendre la main à ceux qui veulent reconstruire l’Etat moderne et instaurer une démocratie la moins polluée possible par la corruption et l’allégeance à l’étranger. Une chose est sûre, Kaïs Saïed a perdu beaucoup de temps et aussi la main sur le cours des événements. S’il ne se soustrait pas à une politique d’ouverture, c’est lui qui sera exclu et banni. La bataille sans limites et sans vergogne contre lui, sa famille, sa santé physique et mentale, a déjà commencé et elle ne s’arrêtera pas s’il continue à faire la sourde oreille.

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