Une baisse peut en cacher une autre…: Après le pétrole, celle des prix agricoles

L’actualité économique a été marquée ces dernières semaines, et depuis le début de l’année 2015, par l’effondrement des cours du pétrole. On peut comprendre l’attention portée sur cette forte baisse compte tenu de l’importance de ce produit dans les dynamiques économiques et son impact sur l’économie globale. Cette chute des prix que nous avons eu à analyser s’explique par un déséquilibre de plus en plus marqué entre l’offre et la demande globales du fait d’un accroissement de la production mondiale et d’une baisse de la demande des pays émergents, et particulièrement la Chine, avec la baisse de leur croissance.
Mais cette baisse des cours aussi importante soit-elle, a caché une autre baisse des prix passée inaperçue. Il s’agit de celle des prix des produits agricoles qui vient d’être amorcée après des années de hausse qui nous avaient laissé craindre le pire avec des révoltes du pain dans beaucoup de pays africains. Il s’agit d’un changement important de tendance sur les marchés mondiaux qui confirme la volatilité et les turbulences que connait l’économie globale.
Cette baisse des cours qui a commencé à pointer depuis le début de l’année s’est accélérée depuis le mois d’août dernier. Cette accélération a été confirmée par l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO, qui a souligné dans son rapport du mois de septembre 2015 que la baisse des cours entamée depuis le mois de janvier a connu une chute de 5,2% lors du mois d’août. L’indicateur des prix de la FAO, un indice composite des cours de plusieurs produits agricoles dont les céréales, l’huile, la viande, le sucre et les produits laitiers, s’établit aujourd’hui au niveau de 155,7 soit son niveau d’il y a six ans.
Comment alors expliquer cette baisse des prix et le renversement de la tendance haussière en place depuis quelques années ? L’explication réside dans un décrochage entre l’offre et la demande et la pression forte sur les prix du fait de l’existence d’importants stocks mondiaux.
Revenons d’abord à l’offre mondiale des produits agricoles. A ce niveau, il faut noter une croissance forte de l’offre pour la plupart des produits. Ainsi, le blé a connu une récolte record cette année, avec près de 728 millions de tonnes. En effet les difficultés climatiques et la sècheresse des grands champs canadiens ont été résorbées par les grandes récoltes en Ukraine et en Europe d’une manière générale. Ces bonnes performances ne sont pas propres au blé et concernent l’ensemble des céréales. Ainsi la FAO estime les stocks mondiaux de céréales à 643 millions de tonnes.
L’abondance de l’offre concerne également l’huile de palme avec de grandes performances de la part des grands pays producteurs dont l’Indonésie et la Malaisie qui disposent aujourd’hui d’un stock de 3 millions de tonnes. Ces stocks exercent une grande pression à la baisse des prix de toutes les huiles végétales.
On observe également la même tendance avec de bonnes récoltes pour un grand nombre d’autres produits agricoles comme les produits laitiers, le sucre, la viande, le café et bien d’autres. Cette abondance est d’autant plus importante que la nature a été plutôt clémente ces trois dernières années sans graves incidents météorologiques qui auraient pu peser sur l’offre.
Face à cette abondance de l’offre, la demande mondiale a décroché et les marchés agricoles connaissent comme beaucoup d’autres marchés les effets de crise des émergents et du retrait de leurs demandes sur les marchés globaux. C’est la Chine qui inquiète le plus les marchés dans la mesure où elle a porté la croissance de la demande mondiale depuis quelques années pour tous les produits agricoles avec le développement de la classe moyenne et son ouverture sur un mode de consommation occidental. Aujourd’hui, les marchés ont enregistré la baisse de la demande en provenance du marché chinois qui a atteint 50% pour les produits laitiers et qui a déstabilisé le marché mondial pour ce produit. Parallèlement à la baisse des importations chinoises, il faut également mentionner l’embargo russe décrété en août 2014 par le Président Vladimir Poutine sur les produits alimentaires occidentaux qui a commencé à peser de tout son poids sur la demande mondiale.
Ainsi, à l’image d’autres marchés mondiaux, celui des produits agricoles est également touché par les turbulences et les volatilités. Des turbulences qui s’expliquent par un important déséquilibre entre l’offre et la demande globales qui sont au cœur de la constitution d’importants stocks pour la plupart des produits et la baisse des prix. Cet effondrement des prix a des effets ravageurs sur l’ensemble des intervenants et des opérateurs dans les filières agricoles. Les paysans sont les premiers à souffrir de cette baisse des cours avec une baisse de leurs marges. Les pays producteurs et grands exportateurs de produits agricoles, dont le Brésil et l’Argentine, ont commencé également à souffrir de cette baisse qui a renforcé la récession qu’ils traversent durant les deux dernières années. Il faut également noter l’impact de cette baisse des prix sur les grandes sociétés de commerce international des produits agricoles et de négoce comme l’Américain Cargill ou son concurrent Bunge qui ont vu leurs bénéfices fondre lors des derniers mois.
L’effondrement des prix des produits agricoles ne sera sans effets sur les pays importateurs comme le nôtre. En effet, il se traduira à court terme par une baisse de la facture de nos importations alimentaires et celles des subventions et donnera une bouffée d’air à nos grands équilibres macroéconomiques, particulièrement à des finances publiques mises à mal par la faiblesse de la croissance. Mais, à moyen terme il faut saisir cette opportunité pour développer nos investissements et notre productivité agricole afin de réduire notre exposition à des marchés globaux à l’humeur de plus en plus chancelante.

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