Une Constitution pour peuple de mineurs

Par Faouzi Bouzaiene

La sortie publique de la Constitution de la République de Kaïs Saïed n’a pas dérogé à la règle adoptée par le chef de l’Etat, particulièrement depuis l’instauration de l’Etat d’exception. Elle s’est faite au cours de la nuit du 30 juin, bien avant minuit cette fois-ci.
Pour quelqu’un, en l’occurrence le président de la République, qui n’a pas arrêté de dénoncer les chambres obscures où se tramaient selon lui les coups bas contre les intérêts du pays, il est difficile de comprendre pourquoi il prend et annonce ses décisions, rend publics ses décrets, aussi tard la nuit. Et c’est encore le cas pour le projet de constitution attendu par tout le monde. Pourquoi la nuit ? Cela laisse libre cours à toutes les interprétations sauf que le projet véhiculé par le JORT a provoqué un tollé presque général, même auprès des soutiens de Saïed et plus encore par ceux-là mêmes qu’il a chargés de rédiger un projet de constitution. Une copie zéro.
Plus qu’une grande déception, c’était du dépit qui était ressenti sur la scène politique tunisienne, à la lecture du projet, notamment auprès des plus optimistes. Et après le « ce n’est pas mon fils » d’Amin Mahfoudh c’es le « nous sommes totalement innocents du projet de constitution proposé au référendum » du Doyen Sadok Belaïd qui enfonce le clou. Les détracteurs et opposants du président ont eu à cœur joie de s’installer en première ligne et de descendre le projet en lambeaux.
Et pour cause. Le projet de constitution annonciateur de la nouvelle République si chère à notre président, dans sa forme actuelle, a tout l’air d’une constitution pour un peuple de mineurs, qui a perdu sa majorité acquise avec la constitution de l’indépendance en 1959 et qui, semble-t-il n’est plus en mesure de décider de son sort. Le texte fondamental qui définira les contours du destin de ce peuple, sera l’œuvre du parrain auto-désigné de ce peuple, et qui désormais détient tous les pouvoirs : le président de la République. C’est ce que le peuple « veut » – le projet s’exprime au nom du peuple –  et voudra après le 25 juillet prochain puisque, selon l’article 139 de ce texte, la nouvelle Constitution entrera en vigueur dès la  proclamation définitive des résultats du référendum par l’Instance supérieure indépendante pour les élections. Trop ambigu en fait. Cela laisse penser que quel que soit le résultat du référendum, la nouvelle constitution entrera en vigueur et Kaïs Saïed est gagnant sur toute la ligne. 
Une année après le 25 juillet, ou presque, on s’est réveillé sur un texte qui s’inscrit à côté de tous les espoirs que laissaient naître les promesses du coup de force de Saïed même auprès des plus sceptiques.
On avait promis un avenir meilleur aux Tunisiens pour les quarante ans à venir. Le président de la République et son cercle restreint de consultants n’ont pas arrêté de l’affirmer. La nouvelle constitution construira la nouvelle République. Et c’est justement ce que le peuple espère et veut pour couper avec ce que les dix dernières années ont enfanté comme crises, situations chaotiques et désespoir à l’ombre d’une constitution qui ne servait que les intérêts du parti islamiste et ses acolytes. 
Sauf que la surprise fut que le texte publié et qui présente ce que Kaïs Saïed entend édifier, ne tient pas compte de ces promesses mais aussi, et surtout, ne tient pas compte du projet présenté par Belaïd et compagnie. Bouderbala l’a confirmé, Amine Mahfoudh s’en est lavé et Belaïd s’en est innocenté.
Le président a donc choisi de présenter sa propre copie qui n’a rien d’économique ou de social dans ses 142 articles et de poser les bases de son projet politique personnel.
Et c’est ce qui expliquerait la vaste polémique suscitée par ce texte. L’absence d’un plan économique, la suppression de la civilité de l’Etat, la consolidation des prérogatives d’un président de la République omnipotent dans un régime présidentialiste, les références à l’Islam, sont entre autres, parmi les raisons à l’origine de cette polémique.
En effet, s’il n’apporte pas de grands changements pour ce qui concerne les droits et libertés le projet a été axé sur l’organisation des pouvoirs dans une logique unique de renforcement des prérogatives du président de la République en limitant le champ d’action des autres pouvoirs, parlementaire et judiciaire, pour en faire de simples fonctions. Le président de la République devient ainsi la pierre angulaire du système politique en place et bien plus encore.
On n’omettra pas de souligner le caractère misogyne de ce texte qui ne parle que de « Citoyen » et de « Tunisien » et pas une seule fois de « Citoyenne » ou de « Tunisienne » notamment s’agissant de la candidature à la magistrature suprême où aucune allusion n’est faite à la femme tunisienne. Celle à qui la première République a accordé le droit de se présenter librement à l’élection présidentielle. Ce n’est pas aussi évident dans la nouvelle constitution.
Cerise sur le gâteau, aucun mécanisme n’est prévu, dans ce projet de constitution, qui permettrait de destituer le président de la République. Le président s’est mis à l’abri de toute tentative pouvant le cibler. Question équilibre entre les pouvoirs, circulez il n'y a rien à voir.
Le propos ici n’est pas d’entrer dans les détails d’un texte que seuls les experts et spécialistes en la matière peuvent, voire ont le devoir, d’expliquer aux Tunisiens.
La question est de savoir si Kaïs Saïed est en mesure de faire marche arrière pour rectifier le tir et offrir au peuple qui lui a fait confiance une constitution digne de ce nom et qui reflète ses ambitions et attentes. 
Le 25 juillet 2021, c’était l’aboutissement d’une volonté populaire et la concrétisation de l’appel du peuple à la dissolution du parlement de la honte et à à sa libération de l’emprise de l’islam politique. Vous avez entendu cet appel, Monsieur le président, et vous avez eu le courage de répondre par un coup de force qui a suscité de grands espoirs. Aujourd’hui, vous êtes appelé à faire preuve de ce même courage pour rectifier le tir.
Une chose est sûre, ce ne sont pas les nostalgiques des années 70 ou encore ceux qui portent le sceau de l'islamisme politique qui décideront de l'avenir de ce peuple ou de la nouvelle république souhaitée par tous.
Nous ne sommes pas un peuple mineur. Notre histoire en témoigne.

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