Béji Caid Essebsi pourrait-il se dessaisir de son rôle d’arbitre en devenant partie prenante dans la crise politique qui secoue la Tunisie depuis plus d’un semestre ? Telle est la question qui taraude de plus en plus la classe politique et qu’on peine à lui trouver une réponse.
Pourrait-il, dans le contexte actuel, instable et incertain, franchir le Rubicon et brouiller davantage les cartes à un moment où la course aux élections est entamée prématurément ?
Avec la désintégration du Nidaa Tounes, le président de la République pourrait-il encore miser sur un parti qui a tout perdu depuis qu’il l’a quitté en 2014 ?
Toutes ces questions et bien d’autres continuent à se poser avec une certaine acuité et laissent souvent perplexe. Au rythme où en vont les choses et avec la grande brouille qui caractérise la vie politique, tout indique que la Tunisie est mal partie pour de nouvelles élections qui risquent, cette fois-ci, de nous conduire vers l’inconnu.
Le pessimisme ambiant trouve son explication dans plusieurs facteurs. D’abord, l’on est plus que jamais persuadé que l’inflation des partis dans le pays n’a pas produit l’effet utile escompté. Elle n’a pas été synonyme d’une action politique féconde, d’un débat public profond et d’un engagement sincère pour orienter les électeurs et les pousser à la participation citoyenne.
Les leçons des dernières élections, qui ont consacré le fiasco de la majorité des partis politiques, la défection des électeurs et la montée timide d’une nouvelle catégorie de forces politiques qui vient de la société civile, des indépendants, n’ont pas été retenues.
A la faveur de la fuite en avant de la classe politique, de la recherche de se positionner à tout prix et de la rupture avec le corps électoral, les élections de 2019 peuvent creuser encore plus le fossé de la suspicion entre électeurs et élus.
Le jeu des alliances qui est en train de s’opérer risque de ne pas produire l’effet souhaité, puisque la majorité des partis politiques vivent une situation difficile et des divisions graves qui sont propres à altérer l’un des fondements du jeu démocratique, à savoir l’alternance au pouvoir des forces politiques et la polarisation de la vie politique par Ennahdha, qui ne reculera pas, le moment venu, à remettre en cause, comme ce fut le cas en 2011, les fondements de l’Etat civil.
En attendant ce rendez-vous électoral qui sera déterminant pour le processus démocratique, le pays continuera à vivre une rentrée viciée, tendue et annonciatrice de tous les dangers. Outre la crise de confiance entre les deux têtes du pouvoir, tout indique qu’on est parti pour une année mouvementée, difficile et où tous les acteurs politiques et sociaux ne reculeront pas à entretenir la tension et le flou. Au lieu d’annoncer le retour au travail, la rentrée a été, chez nous, un argument pour certaines forces politiques de jouer à fond la carte de l’instabilité politique, de jeter le doute sur tout ce qui se fait et s’entreprend et de plonger le pays dans le doute et l’expectative. La déclaration de l’UGTT d’une grève générale dans la fonction publique et le secteur public, a fourni la preuve de cette dérive syndicale que rien ne peut justifier. Une décision d’une extrême gravité prise avec une légèreté déconcertante, comme si par son biais le pays va retrouver le chemin de la croissance, du travail et des réformes !
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L’institut tunisien des études stratégiques, qui est censé être un think tank, à qui revient la mission d’élaborer des études approfondies portant sur des thèmes stratégiques à long et à moyen termes, est en train de perdre sa vocation originelle. Il n’y a qu’à voir les réunions, les documents et les séminaires, presque hebdomadaires qu’il est en train d’organiser, pour se rendre compte du mauvais virage pris par cette institution.
Cette dernière est en train de sacrifier la réflexion stratégique au profit du factuel. Résultat : les analyses légères de certains faits qui relèvent d’ordinaire des organismes en charge de la conjoncture ou des simples bureaux d’études, sont devenues le menu principal du travail de l’ITES qui semble préférer de plus en plus le tapage médiatique et le tape à l’œil plus que tout autre chose. Au moment où il lui revient de favoriser une réflexion sur des questions qui supportent mal l’improvisation, de mobiliser les compétences pour prospecter les défis de l’avenir et présenter une vision et des pistes qui aident les pouvoirs à orienter les stratégies et à prendre les bonnes décisions, l’on se demande pourquoi il se complaît depuis un certain temps dans la facilité.
Peut-on réellement dégager des stratégies ou élaborer des pistes de réflexion sérieuses au bout de rencontres organisées à la va-vite sur des thèmes d’une grande complexité comme l’Immigration clandestine, l’exploitation des ressources naturelles, l’eau, la violence, le retour de Tunisiens des zones de tension, ou à travers la présentation de résultats de sondages ?
Incontestablement, la vocation d’un institut d’études stratégiques consiste à favoriser une réflexion approfondie, l’élaboration de documents de stratégie qui exigent du temps et de l’expertise, non à organiser des réunions à tout va et à tirer des conclusions d’une manière un peu hâtive. n