Lentement, discrètement mais sûrement. Les plus gros scandales judiciaires qu’a connus la Tunisie au courant de la décennie 2011-2021 sont actuellement en train d’être décortiqués par des juges d’instruction qui ont entamé les interrogatoires des présumés accusés. Soit Instalingo (renseignements avec pays étrangers), réseaux de rapatriement des jeunes radicalisés vers les zones de conflit (Syrie), assassinats politiques (Chokri Belaïd, Mohamed Brahmi). Ces réseaux qui ont indubitablement des liens avec des pays étrangers ont détruit la sérénité et la joie de vivre légendaire de la Tunisie, son Etat, ses institutions, son économie, sa jeunesse, sa qualité de vie. Les responsables sont connus de tous, mais ils courent encore, libres comme le vent. Bien protégés par leurs puissants commanditaires, ils se reconnaîtront. Les Tunisiens aussi les connaissent, mais ils comptent sur la justice pour leur faire payer leurs crimes, ils ne sont pas férus de vendettas. Des politiciens, des chefs de partis politiques, des hommes d’affaires, des journalistes, de hauts cadres administratifs, des sécuritaires et d’autres encore sont impliqués jusqu’au cou dans ces scandales politico-financiers qui ont des liens étroits avec les réseaux terroristes. La Tunisie a connu le pire depuis la chute du régime de Ben Ali. En France, en Belgique, pour ne citer que ces deux pays occidentaux frappés par le terrorisme, des procès impressionnants ont couronné des années d’investigations et d’instructions sur les attentats de novembre 2015 à Paris et de mars 2016 à Bruxelles. En Tunisie, les choses ne se sont pas passées comme elles auraient dû l’être. Et pour cause : les présumés coupables tiennent les rênes du pays et sont ses dirigeants. Alors que la Tunisie était supposée mise sur la voie démocratique aux lendemains des événements de 2010-2011, ses institutions publiques et judiciaires, nouvellement créées et installées sous les bons auspices des puissantes démocraties de ce monde, n’ont pas fonctionné selon les normes démocratiques. En fait, elles n’ont pas fonctionné du tout.
L’impunité a régné tout au long de la décennie 2011-2021 bénéficiant aux plus puissants, les proches d’Ennahdha et ses vassaux. Leur toute puissante mainmise sur l’Etat et ses rouages a eu raison de toutes les bonnes volontés qui ont cherché un chemin vers la justice pour les victimes du terrorisme sous toutes ses formes : attentats meurtriers, spoliation des caisses de l’Etat, destruction de pans entiers de l’économie nationale (prise en otage du phosphate, destruction du tissu industriel…), endoctrinement et radicalisation de la population, surtout les jeunes…
On se souvient encore de la députée Leïla Chettaoui (bloc Machrou3 Tounes), première présidente de la commission d’enquête parlementaire sur l’envoi des jeunes Tunisiens vers les zones de conflit au Proche-Orient, la Syrie en l’occurrence, et des malheurs qu’elle a endurés de ses collègues islamistes and Co et des menaces dont elle a fait l’objet jusqu’à son éviction de la présidence de la commission en question. La commission, qui ne fut créée qu’en janvier 2017, n’a pu voir le jour que sous la pression de l’opinion publique et des familles des jeunes qui ont été radicalisés et enrôlés dans les réseaux de ce qu’on appelle communément « Tasfir ». Après Chettaoui, il y eut Fatma Mseddi, une autre députée (Nidaa Tounes) courageuse qui a osé affronter l’hydre terroriste pour tenter de terminer le travail. Que nenni. Les résultats de l’enquête parlementaire n’ont jamais été débattus en séance plénière comme prévu initialement, l’affaire a été étouffée et les dirigeants islamistes se sont relayés pendant plusieurs mois dans les médias audio-visuels et écrits pour crier leur innocence et dénoncer le harcèlement et le complot. La commission est morte avec la fin du mandat de l’Assemblée des représentants du peuple 2014-2019.
Lundi dernier, l’affaire a refait surface avec la mise en garde à vue de Mohamed Frikha, un homme d’affaires de bon aloi, un ingénieur de notoriété internationale, un investisseur notoire dans les domaines de la haute technologie et plus récemment dans l’industrie spatiale. Fondateur de la compagnie aérienne Syphax Airlines, Mohamed Frikha, élu sous la bannière d’Ennahdha aux Législatives de 2014, est soupçonné d’avoir assuré les vols de transfert des jeunes futurs terroristes de Tunisie vers la Turquie. Leïla Chettaoui l’avait déjà accusé en 2017. Il ne fut jamais inquiété. Mohamed Frikha fait partie des rares compétences nationales qu’il sera fort regrettable de sacrifier à l’aune de l’avidité des islamistes pour le pouvoir, dans le cas où les investigations judiciaires confirmeraient son implication. Ce serait une grande perte contrairement à tous les autres nahdhaouis qui claironnent sur tous les toits les services qu’ils ont rendus aux Tunisiens quand ils étaient au pouvoir et présidaient aux destinées (ravageuses) de la Tunisie. Prions pour qu’il soit véritablement innocent. Sinon, ce sera justice rendue.
Il faut admettre, malgré la situation économique catastrophique et la misère sociale qui menace la stabilité du pays, que si la lumière est faite sur les affaires judiciaires en souffrance, par le biais de la justice bien sûr, une épine sera enlevée du pied de chaque Tunisien qui a prié pour vivre cet instant. La reddition des comptes ! On n’y croyait plus. Si l’effet 25 juillet doit faire jaillir la vérité et honorer la mémoire des victimes du Mont Salloum, du musée du Bardo, de l’hôtel Impérial de Sousse, de l’avenue Mohamed V et d’autres sécuritaires lâchement poignardés, la Tunisie tournera une page sinistre de son histoire et renouera avec l’optimisme.
L’assainissement du climat politique passe aussi par là. L’impunité ne règlera rien, contrairement à ce que prétendent certains, et qui crient à qui veut bien les entendre, que les trois dossiers (sus-indiqués) sont vides et que les accusations sont « politiques et bidon ». L’impunité est synonyme d’anarchie, de faiblesse de l’Etat et de compromission des magistrats. La famille judiciaire a tout à gagner à soutenir les juges qui enquêtent sur ces affaires. Elle a une réputation à réhabiliter auprès des citoyens au nom desquels les magistrats rendent leurs verdicts. L’Etat, Kaïs Saïed, avec tous ses défauts et toutes ses erreurs, sont en train de lui rendre son autorité. Cela doit se faire dans la transparence et la célérité, surtout que le président de la République semble continuer à fignoler son plan d’action à son propre rythme sous la bannière de sa « guerre sainte » contre la corruption et la nécessité d’assainir la justice. Le temps est compté, la patience du peuple s’émousse et gare aux bavures. Les Tunisiens ne badinent plus avec les Droits de l’Homme et la liberté d’expression.
Les arrestations de journalistes et l’usage de balles réelles contre des citoyens même s’ils sont pris en flagrant délit d’infraction ne feront qu’augmenter la tension qui est à son paroxysme. Il est fréquent certes de voir des agents des forces de sécurité de pays libres et démocratiques, européens ou aux Etats-Unis, tirer à bout portant sur des automobilistes qui refusent d’obtempérer à leurs ordres, mais en Tunisie, cela ne doit pas avoir lieu, parce que le peuple tunisien est un peuple sinistré, martyrisé, paupérisé, qui n’a plus rien de précieux à perdre après avoir perdu l’espoir et le sentiment de vivre dignement. Ce peuple est capable de tout, du pire, y compris de se faire mal, pour dire STOP. Qui ne l’a pas encore entendu ?
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