La seule querelle qui vaille en ce moment dans notre pays porte sur l’accord financier entre le gouvernement et le Fonds monétaire international qui devrait permettre à la Tunisie d’obtenir «un plan de sauvetage de 1,9 milliard de dollars». Chacun descend avec sa tribu : la gauche contre les réformes «douloureuses» et l’austérité , l’UGTT contre les «menaces» sur le modèle social, les services publics et l’État-providence, les populistes, emportés par l’exaltation des passions idéologiques et religieuses et la contestation radicale de toutes les institutions financières occidentales, s’obstinent dans une escalade qui ne réglera aucun des problèmes émanant de cette crise économique, financière et sociale sans précédent, la droite libérale, forcée de jouer dans une pièce qui n’est pas la sienne, agite le spectre d’un engloutissement imminent. Dans cette «carnavalisation», le niveau du débat politique s’est affaissé entre l’arrogance parfois hystérique des uns et l’indifférence à la vérité des autres. Dans le déluge de sornettes déversé par les faux sachants sur ce désastre général, on ne peut en vouloir aux citoyens criblés de taxes et de dettes et dont le niveau de vie est constamment taraudé par le népotisme, la faillite morale, la dégradation des services publics, la malversation, les inégalités, l’injustice et une corruption endémique, de ne plus faire confiance à ces politicards machiavéliques qui n’ont aucun sens de l’intérêt général. Il faut avoir une imagination débordante ou faire preuve d’une dose élevée de mauvaise foi, ou les deux en même temps pour continuer à croire qu’on pourrait s’en protéger et échapper à l’effondrement en ne comptant que sur soi-même ! Ce débat incongru souligne, une fois encore, la grande pitié de toute une classe politique. Les solutions conditionnées par la religion, l’idéologie ou les tendances populistes sont, comme toujours, des miroirs aux alouettes.
Il n’est pas besoin d’avoir lu Ibn Abi Dhiaf et son œuvre majeure «Ithaf ahl- al-zaman» et de connaître les conditions de la mise en place en 1869 d’une commission anglo-italo-française destinée à prendre le contrôle des finances de la Tunisie ruinée, pour savoir qu’on ne peut indéfiniment compter sur les dettes pour gérer convenablement un pays. Bien sûr, la Tunisie du dix-neuvième siècle n’est pas celle d’aujourd’hui, et il faut se méfier des parallélismes historiques. Les anachronismes ne sont jamais loin. Les conclusions hâtives non plus. Mais vouloir conserver totalement sa souveraineté nécessite des outils adéquats et des épaules larges. Pour avoir négligé cette règle simple, plusieurs de nos décideurs politiques et économiques sont, depuis douze ans, à la peine, surtout que la «souveraineté nationale» n’est plus cette notion définie dans le traité de Westphalie en 1649, ni encore celle théorisée par l’homme politique français Jean Bodin dans son œuvre «Les six livres de la République». La planète monde est un «petit village» comme l’avait prédit l’un de nos héros nationaux, Kheireddine Pacha, dans son célèbre livre «Akwam al-masalek» (Les voies les plus justes pour réaliser les meilleures réformes), un siècle et demi avant l’avènement de la mondialisation.
Il va sans dire que les conditions exigées par le Fonds monétaire international sont un poison. Lorsqu’elles ne sont pas traitées d’une façon qui protège la dignité de la population, elles font vaciller les régimes politiques. Et parfois, elles mènent à leur chute.
Entre ces deux sombres perspectives, il nous reste la liberté d’inventer une autre voie. Une solidarité nationale d’une force considérable, venant tant des décideurs au pouvoir, des opposants, des syndicalistes, que des citoyens, peut encore nous permettre de sauvegarder notre souveraineté nationale et d’éviter que le pays se clochardise dramatiquement. Encore faut-il que chacun ait désormais pleinement conscience des enjeux et s’attelle à trouver des remèdes.