Une évolution ou un leurre ?

En organisant, en grande pompe,  son 10e congrès et en utilisant de grands moyens,  Ennahdha a réussi son pari de polariser l’attention aussi bien au plan national qu’international et à susciter des réactions mitigées voire une certaine polémique. Le mouvement islamiste, qui aborde une nouvelle phase de son parcours politique, a essayé, surtout, d’impressionner, en mobilisant ses adhérents et militants, en faisant une véritable démonstration de sa popularité et de sa force et de se présenter sous une image nouvelle plus rassurante :  celle d’un parti démocratique,  en phase avec la modernité, sans toutefois parvenir à convaincre tout le monde.

Des doutes planent  sur la portée de la transformation d’Ennahdha en parti civil et de l’aptitude  de ses  dirigeants  à suivre l’ordre les invitant à la séparation entre le politique et le religieux. Le coup de pocker que Rached Ghannouchi  a essayé de jouer en montrant que ce mouvement s’inscrit dans le paysage politique national et se conforme aux principes édictés par la Constitution peut-il traduire réellement une évolution normale de ce mouvement ?

L’enjeu est de taille, dans la mesure où ce parti, qui a focalisé jusque-là son action sur l’islamisation de la société tunisienne, peut-il aborder rapidement un virage de 180 degrés en abandonnant le champ religieux pour se lancer exclusivement  dans celui politique ? Même si de nombreux sceptiques doutent des vraies intentions d’Ennahdha, de sa volonté de se soustraire réellement à toute activité de prédiction et d’abandon de toute action idéologique, il semble que les évolutions enregistrées sur le plan international ont obligé le mouvement Ennahdha à de douloureuses remises en question.

La séparation entre le politique et le religieux, quoique défendue par Rached Ghannouchi comme un aboutissement d’une évolution normale dans un pays devenu démocratique où les libertés sont consacrées dans la Constitution, est un virage que le mouvement a été obligé d’accomplir pour se démarquer des autres mouvements islamistes, accusés partout dans le monde d’être à l’origine de la radicalisation des mouvements islamistes et de l’émergence d’un terrorisme aveugle qui menace l’ordre social un peu partout dans le monde. Toute la question qui se pose aujourd’hui concerne la capacité de ce mouvement à assumer ses choix, sa mutation en parti civil, sa capacité à maitriser ses structures et convaincre ses faucons à digérer ces évolutions et à inscrire durablement son action sur le champ politique.

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Les cartes ne cessent d’être brouillées, que ce soient au sein de la coalition au pouvoir,  ou au niveau de certains partis politiques qui vivent de douloureuses contractions dont on n’est pas sûr de ce qu’elles vont pouvoir  enfanter.  Le plus grave dans tout cela, c’est qu’en plus des dissensions, dont très peu saisissent les tenants et les aboutissants, on assiste à une confusion au niveau des choix, des politiques et des programmes à entreprendre et à une nonchalance assassine vis-à-vis des défis et difficultés que le pays est en train de subir dangereusement.

Dans l’incapacité d’assumer ses missions d’encadrement et de sensibilisation de ses militants, Nidaa Tounes, devenu l’ombre de lui-même, brille de plus en plus par les frasques de ses cadres et députés. Le dernier épisode de ce feuilleton, indigeste et à rebondissements imprévisibles, a été le mauvais scénario concocté dans les coulisses à l’effet de précipiter le départ de Habib Essid de la Kasbah et de provoquer une grave crise gouvernementale. A ce niveau, la question qui se pose concerne la capacité de ce parti, dont les cadres n’ont cessé depuis plus d’un an de se livrer à une guerre fratricide sans merci, d’assumer un rôle dont ils n’ont plus les cartes pour pouvoir le jouer pleinement.

Amoindri, divisé et en butte à des conflits d’intérêt étalés au grand jour, Nidaa Tounes peut-il prétendre assumer une charge politique dont il ne possède plus les clefs ? Avec son bloc parlementaire qui a perdu de son homogénéité et de sa discipline, il est devenu parfois hasardeux de compter sur lui, comme ce fut le cas lors du vote de la loi sur le statut de la BCT, pour passer une loi avec une majorité relative. L’exacerbation des rivalités internes entre ses dirigeants se traduit par un profond malaise et une incapacité de ce parti à assumer son rôle de soutien à l’activité gouvernementale dans cette phase cruciale que connait le pays.

Dès lors, comment expliquer la tentative, restée sans lendemain, de déstabiliser Habib Essid, dont l’action de son équipe manque de cohérence, de solidarité et de consistance et qui peine à engager des réformes ou à juguler les tensions sociales rémanentes? Certains parmi ceux qui sont allés vite en besogne prédisant la fin imminente du gouvernement Essid 2 n’ont pas pris en considération certains faits objectifs.

En effet, avec un Nidaa  Tounes,  qui n’est plus le maitre du jeu politique dans le pays et un Afek Tounes et l’UPL, dont l’action a beaucoup perdu en consistance, on a donné à Habib Essid une bouffée d’oxygène, notamment à son équipe qui cafouille et qui ne donne pas encore des signes évidents d’une capacité à piloter un pays à la dérive.

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