Une histoire de traditions…

Grande mosquée, université ou «simplement» symbole de la ville de Tunis, la Zitouna, mise à mal par une brûlante actualité, s’adosse plus que jamais à son histoire séculière. En voici un pan, un aspect ou une dimension présentée par le biais du parcours et du statut de ses imams.

 

Vendredi 6 avril 2011, l’imam Mohamed Cherif est prié, quelques instants avant le sermon de ne pas se présenter à la mosquée, marquant ce faisant la fin d’une dynastie d’imamat qui en assurait la fonction depuis 1812. Le ministre des Affaires religieuses de l’époque, Laroussi Mizouri, occupera sa place sur le champ. Puis, dès la semaine suivante, la rotation des imams commence. Au-delà de la «querelle» de personnes, c’est toute l’horlogerie zitounienne qui est aussitôt mise à mal. Manière d’annoncer l’arrivée de l’imam, psalmodie du Coran, l’appel à la prière… La mécanique ou le rituel,  fruit de touches personnelles accumulées depuis plusieurs siècles, est réglée au détail près.

 

L’arrivée des Chérif

Petite entreprise, parfaitement organisée, la Zitouna emploie près de quatre-vingt personnes parmi lesquels les imams. Ces derniers, au nombre de cinq (une particularité propre à la Zitouna), se partagent les tâches. Trois imams (les imams de la semaine) assurent d’une manière rotative la prière de la semaine. L’imam du trawhih a la particularité de connaître le coran par cœur. L’équipe est supervisée hiérarchiquement par le grand imam, l’imam prédicateur. Ce dernier ne s’occupe que de la prière du vendredi et de la prière des deux Aïds.

Jusqu’à ce que la mosquée soit organisée en université délivrant des diplômes, la fonction d’imamat était attribuée par la communauté au «savant». Lui-même devenait enseignant et transmettait sa science de maître à disciple. La Zitouna a été marquée par des dynasties d’imams. Du XVIIème siècle au début du XIXème siècle, ce fut la famille des Bokri. Ces derniers ont gagné cette dignité par leur science et par leur implication dans le financement des études religieuses. Ils ont construit Ezzawiya el Bokria (Halfaouine), une sorte de foyer universitaire avant l’heure. Cheikh Ali Ben Abou El Gheith El Bokri en sera le dernier.  «Puis lorsque ces derniers n’ont plus été à même d’avoir le niveau scientifique requis et de monter en chaire afin de faire le sermon du vendredi, la communauté a pensé qu’il serait bon d’avoir un chérif, c’est-à-dire de la descendance du prophète, explique Abbès Mohsen, descendant des Cherif. En 1819, Cheikh Hassen Ben Abdelkrim est le premier Chérif à être imam prédicateur. La charge restera entre les mains de la famille directement ou par le biais de sa branche cadette, à partir de 1850, les Mohsen. L’imam Ahmed Chérif—qui n’était pas imam de la Zitouna- avait une première femme qui ne lui a pas donné de descendance. Son épouse en secondes noces lui donne une descendance dont le premier garçon était prénommé Mohsen. Afin d’opérer la distinction entre les deux épouses—la première ayant eu entre-temps des enfants-les deux noms, Cherif et Mohsen, sont gardés.

 

Une relation de déférence

«On raconte que l’un des proches de Ahmed Bey (1837-1855) est venu lui rapporter que l’imam de la Zitouna ne le portait pas dans son cœur. «S’il m’aime tant mieux pour moi. Et s’il ne m’aime pas : Que puis-je faire contre un descendant du prophète» ? Avait répondu ce dernier, confie Abbès Mohsen. Les imams de la Zitouna étaient respectés. On murmure même que dans les cérémonies non officielles,  Ahmed BeyII s’inclinait pour baiser la main du Chérif. L’imam de la Zitouna devait notamment composer avec son rival hanéfite de la mosquée du Bardo, proche du souverain de part son rite. Mais la cohabitation se passait sans encombre… Pour éviter tout envenimement de la situation, les souverains husseinites avaient  eu la sagesse de créer des corps parallèles, et ce, dans tous les domaines. L’imam qui avait une relation basée sur le respect mais distanciée avec l’autorité politique bénéficiait d’une position sociale indépendante, reconnue par la population des fidèles. Etant descendant du prophète, ses conseils, si ce n’est sa bénédiction,  étaient souvent requis. «Il vivait au milieu des gens, dans la médina ainsi que les autres imams avec sa population. Imam à plein temps, rémunéré sur les fondations habous de la mosquée puis par l’Etat après l’indépendance, il se consacrait entièrement à sa fonction.

 

Bourguiba : la relation complexe

Bien qu’ayant beaucoup et à bon escient utilisé les mosquées pour la propagation des idées nationalistes, Bourguiba les ciblera après l’indépendance afin de  réformer un système qu’il considère comme dépassé. Première cible  de cette campagne de modernisation : le cheikh Mustapha Mohsen que le président tente d’évincer de 1959 à 1961. «Cela s’est passé de manière obscure.

Concrètement, les gens finissent toujours par savoir ce qui s’est passé en politique. Mais dans ce cas, rien n’a filtré… Il n’y a jamais eu de clash entre les deux hommes. Le cheikh n’était pas marqué comme étant proche des Français. Peut-être que Bourguiba voulait-il révolutionner simplement ?», s’interroge notre interlocuteur selon qui la force de Bourguiba est d’avoir «opéré ses réformes de l’intérieur de l’Islam». Son remplaçant, Cheikh Béchir Enneifer, est un agrégé.

 

L’imam et l’enseignement zitounien

Depuis sa fondation, la Zitouna s’est rapidement distinguée par son université où était dispensé un enseignement religieux et scientifique. Mais les fonctions (cheikhs et imams) étaient bien définies. L’imam n’avait aucun droit de regard sur l’enseignement ou son contenu. Il arrivait que les deux principaux personnages de la mosquée  ne se voient pas pendant des jours. Dans les années 40, l’enseignement zitounien amorçait une  modernisation. Un nouveau pas est franchi après l’indépendance lorsque Bourguiba décide de couper le  cordon ombilical entre la mosquée et l’université. Le nouvel enseignement s’accompagne par l’arrivée d’une bourgeoisie aisée non originaire de Tunis, ce que certains considèrent comme la première étape du déclassement des beldis. «Dès l’instant où il y a un modèle de vie plus moderne, les modèles traditionnels sont menacés de déclassement surtout quand le modèle moderne emporte avec lui une prospérité économique. Il est évident que les médecins, avocats installés dans les années 50 étaient appelés à avoir un statut social de plus en plus élevé», considère M. Abbès Mohsen selon qui «Tunis était un espace d’intégration dont  la Zitouna en était le vecteur».

Aujourd’hui, la même mosquée est source de dissensions. Exfiltré,  l’enseignement entame le processus contraire aujourd’hui par rapport à ce qu’avaient vécu les cheikhs après l’indépendance. Dans les années 50, s’est créée en contrebas de Bab Sidi Abdallah, Ibn Charaf. Le Cheikh Tahar Ben Achour assistait à l’inauguration de cette nouvelle réalisation qui allait abriter certains cours qui étaient jusque là donnés à la Zitouna. Il y avait des amphithéâtres, des éclairages au néon, etc. C’est alors qu’une personne a laissé entendre qu’il était dommage que l’enseignement soit maintenant dispensé dans un bâtiment moderne. «Si nous, les musulmans avions dispensé nos cours dans des lieux de prière, c’était parce que nécessité faisait loi», avait rétorqué le cheikh. Avant de poursuivre : «Maintenant que nous avons la possibilité matérielle et technique, je ne vois pas en quoi cela serait de moins qualité,  que d’offrir à nos étudiants des meilleures  conditions».

Azza Turki

 

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