Une intelligence artificielle pour évaluer la santé mentale des patients

Quel sera, demain, le rôle de l’intelligence artificielle dans le domaine de la santé mentale ? Les algorithmes pourront-ils aider à mieux déterminer l’âge du cerveau et à mieux diagnostiquer les maladies mentales ? Seront-ils capables de remplacer les médecins ? S’il est encore trop tôt pour répondre par l’affirmative, les recherches dans ce domaine progressent. En témoigne l’étude d’une équipe internationale regroupant des chercheurs en intelligence artificielle, en neurosciences et en psychiatrie, publiée vendredi 15 octobre dans la revue scientifique Gigascience.
Dans ces travaux, les scientifiques expliquent avoir entraîné un algorithme d’apprentissage automatique, une branche de l’intelligence artificielle, à prédire l’âge biologique du cerveau des patients, mais aussi à mesurer leur « intelligence fluide » et leur « névrosisme », trois mesures indirectes permettant de mieux évaluer la santé mentale des patients. Pour cela, ils ont utilisé des milliers d’imageries par résonance magnétique (IRM) de cerveaux, mais aussi des informations sociales de la « Biobank Royaume-Uni » (UK Biobank). Cette banque de données biomédicales, l’une des plus riches et complète au monde, contient des renseignements détaillés sur la santé et les habitudes de milliers de citoyens britanniques, tels que l’âge, le sexe, le niveau d’étude, la consommation de tabac et d’alcool, la durée du sommeil et la pratique d’exercice physiques, mais aussi des questionnaires relatifs à l’humeur ou aux sentiments, soit un ensemble d’informations qui permettent notamment de mesurer l’intelligence fluide et le névrosisme.
*Détecter les signaux faibles
« Ces dix dernières années, il y a eu de nombreuses études qui ont montré que l’analyse de données biomédicales permet de prédire le risque d’apparition d’un trouble neurocognitif lié par exemple à la neurodégénérescence ou au vieillissement », explique Denis Engemann, principal auteur de l’étude et chercheur au sein de l’équipe Parietal, de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria, Paris-Saclay), interrogé par L’Express. Autrement dit, si l’âge biologique du cerveau d’un patient est plus élevé que son âge réel, cela peut indiquer un déclin cognitif, lui-même annonciateur d’une potentielle pathologie neurodégénérative, comme Alzheimer. « En entraînant un algorithme à prédire l’âge d’un cerveau à partir d’imageries médicales et en comparant sa prédiction à l’âge réel du patient, il est donc possible de déterminer le risque d’apparition d’une maladie pour cette personne », poursuit le chercheur. Une méthode scientifiquement démontrée par de nombreux travaux, dont ceux précédemment menés par Denis Engemann et son équipe.
L’intelligence fluide, elle, correspond à la capacité à penser logiquement et résoudre des problèmes nouveaux sans qu’il soit possible d’utiliser ses connaissances. Cette aptitude, qui culmine généralement à l’adolescence avant de chuter, peut-être évaluée par des tests neuropsychologiques personnalisés qui reposent sur le jugement d’experts et nécessitent une interprétation minutieuse. « La mesure de l’intelligence peut constituer un marqueur indirect de problèmes de santé mentale. Quelqu’un qui souffre de troubles psychotiques peut par exemple avoir du mal à faire certaines tâches car il va entendre des voix dans sa tête. Ainsi, la baisse de sa performance ou capacité cognitive est un effet indirect, mais bien corrélé, à sa santé mentale », illustre Denis Engemann. Enfin, le névrosisme est un trait de personnalité caractérisant la tendance persistante à avoir des émotions négatives, qui peut par exemple suggérer une dépression.
Afin de démontrer la capacité de leur algorithme, les chercheurs ont récolté les informations (IRM et données UK Biobank) d’environ 10 000 patients. Ils ont utilisé la moitié pour entraîner leur algorithme et l’autre pour vérifier que leur intelligence artificielle était capable de prédire avec précision l’âge du cerveau, l’intelligence fluide et le névrosisme des patients. Dans la plupart des cas, leur algorithme a été capable de prédire avec justesse ces trois critères. Il a également prédit certains comportements des patients, comme la consommation d’alcool et de tabac, leur qualité de sommeil ou encore leur pratique ou non d’exercices physiques.
* »Les algorithmes ne remplaceront pas l’humain »
Si ces recherches sont encore expérimentales, elles laissent présager de nombreuses améliorations dans la détection et le diagnostic de maladie mentale. Une bonne nouvelle, alors que les troubles liés à la santé mentale, qui ont augmenté de 13% dans le monde entre 2007 et 2017 selon les calculs de l’Organisation mondiale de la santé, sont encore trop peu pris en charge, par manque de moyens ou de médecins spécialisés. Le développement d’intelligences artificielles dans ce domaine pourrait non seulement améliorer et accélérer les diagnostics, mais aussi aider à mieux prévenir et traiter ces maladies. « On pourrait imaginer que, dans le futur, des clients d’une application ou des patients accordent à une intelligence artificielle l’accès sécurisé à leurs comptes de réseaux sociaux ou aux données de leur téléphone portable, pour ensuite renvoyer des mesures indirectes utiles à la fois au client et au médecin », indiquent encore les auteurs de l’étude.
Pour autant, Denis Engemann tient à rappeler que si l’intelligence artificielle pourra probablement fournir, à l’avenir, des outils d’évaluation indispensables, elle ne remplacera jamais les médecins. « L’algorithme pourra aiguiller le psychologue ou psychiatre et lui permettre d’avoir une vision globale plus riche, mais les praticiens devront toujours interpréter et contextualiser soigneusement les résultats des tests au cas par cas et par le biais de l’interaction sociale, qu’ils soient obtenus par apprentissage automatique ou par des tests classiques, insiste-t-il. Et puis, il y a aussi le facteur humain. Personne n’a envie de boire un café avec un algorithme. L’interaction humaine est irremplaçable ».
(L’Express)

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