Une journée au SAMU : Les éclaireurs de la première ligne

Leur unité est sur la première ligne du front dans cette guerre menée contre un ennemi invisible qui frappe en traître. Ils sont les « éclaireurs » de l’armée constituée par nos équipes médicales pour faire face à cette pandémie, nommée Coronavirus, le Covid-19. Cette unité, c’est le SAMU 1, dont le bâtiment du haut de la colline surplombant Tunis abrite dorénavant une ruche qui ne se calme point… « En temps normal », ils sont 13 médecins permanents, ainsi que des vacataires, 12 infirmiers et 14 ambulanciers à travailler pour le SAMU 1. Les unités de réanimation mobile SMUR couvrent sept gouvernorats dont Tunis, Ben Arous, Ariana, la Manouba, Bizerte et Nabeul.  Nous y avons passé une journée. Reportage.

Reportage effectué par Hajer Ajroudi

 A huit heures du matin, l’équipe du jour prend place dans la salle de réception téléphonique qui regroupe une vingtaine de bénévoles, étudiants en médecine et jeunes qui travaillent dans des centres d’appels. Ils ont rejoint le SAMU pour passer des heures à leurs postes, répondant au téléphone et collectant les données selon des fiches mises à leur disposition afin de permettre aux médecins de trier les cas nécessitant un dépistage. Le téléphone n’arrête pas de sonner, ce sont des dizaines d’appels qui entrent en une heure. En une heure et demie, l’une des bénévoles en avait reçu une trentaine, dix appels sérieux, vingt émis par des personnes qui plaisantaient !

 

« Neuf cents appels téléphoniques en une journée suite à l’annonce du premier cas. Le 190 a été saturé en deux jours, mais 99% de ces appels étaient des demandes d’informations. Les gens n’ont pas pu joindre le SAMU le jour de l’attentat terroriste commis à côté de l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique (aux Berges du Lac le 06 mars 2020, NDLR) et nous en avons entendu parler par le biais de la Garde civile. Depuis, Tunisie Telecom a renforcé notre capacité. Elle a été multipliée par 10 en regroupant 60 lignes. Nous n’avons cessé d’accroître la capacité de réception. Malgré cela, le SAMU reste saturé. Lundi dernier, nous avons reçu 20000 appels et depuis dimanche nous avons fait dévier le 190 sur un Call Center », précise Docteur Mounir Daghfous, chef de service au SAMU.
Dans une autre salle, des médecins font le tri des informations collectées et prennent les décisions. Une fois les « Kits » de dépistage reçus, ils sortiront faire les prélèvements sur les cas suspects. Peu avant midi, plus de 10 prélèvements ont été décidés.
« C’est un véritable tsunami, nous effectuons les prélèvements tout en continuant à gérer les cas d’urgence car nous assurons la première réponse médicale en tant que SAMU. Au niveau 1, nous opérons 50 à 70, voire 80 sorties par jour, » explique encore Dr Daghfous.
« Avec le cas qui s’est déclaré sans source de contagion précise, le SAMU continuera-t-il à ne dépister que les personnes ayant voyagé ou ayant été en contact avec une personne contaminée? » lui avons-nous demandé et il répond que « c’est le rôle de la commission nationale permanente pour le suivi et la lutte contre la propagation du coronavirus de déterminer les critères de dépistage. Nous obéissons à ses recommandations».

Le matériel arrive dans des cartons, des médecins le dispatchent et constituent les kits contenant la blouse, les gants, le masque, les couvres chaussures, les couvre-chefs, le tube de prélèvement.

Les prélèvements
Il est midi, les kits sont prêts et les équipes grimpent dans les ambulances qui quittent une à une l’enceinte du SAMU. Dans celle qui nous mène, il y a deux femmes médecins, Dr Wafa Limam du SAMU et Dr Maha Maâmer, médecin de travail et ancienne urgentiste qui a rejoint le SAMU en tant que bénévole pour renforcer l’équipe en ces jours de crise. L’ambulancier quant à lui, vient en renfort du Centre de médecine intermédiaire de la Manouba.
L’ambulance, qui ne porte pourtant pas l’inscription du SAMU mais celle du Centre s’arrête devant la maison du premier cas et aussitôt, la voisine d’en face ouvre sa porte et, curieuse et craintive à la fois, restera au pas de sa porte tout le temps que durera le prélèvement. Un homme qui passe au volant de sa voiture s’arrête en pleine chaussée et ne bouge plus, épiant les moindres gestes du médecin qui, dans l’ambulance, enfile l’équipement de protection. Les gens ont peur, ils épient et observent… Cette peur se lit sur leurs visages au passage même de l’ambulance qui roule, ils la suivent du regard, craignant qu’elle ne s’arrête, juste à côté, devant la maison du voisin.
Dans une autre zone, le gardien d’un immeuble bloque le passage aux deux médecins, leur demandant où elles allaient. Une femme qui passe demande à l’ambulancier ; « Il y a le Corona ? (Famma Courouna ?) ».
Quatre prélèvements ont été effectués lors de cette sortie, pourtant le tour avait duré trois heures, dans des rues presque désertes et en restant dans un seul des gouvernorats du Grand Tunis. A chaque fois, il fallait trouver la maison, enfiler l’équipement de protection, entrer et effectuer le prélèvement, mais aussi, répondre aux questions du malade lui-même et de son entourage. Les deux médecins se montrent patientes et rassurantes. Elles savent elles-mêmes qu’elles travaillent dans le risque de la contamination et tout en respectant la procédure de protection, elles ne reculent point devant l’appel du devoir.
Il était déjà 15h30 quand l’ambulance arrive à l’hôpital Charles Nicolle pour y déposer les prélèvements. Dix minutes après, on était au SAMU, mais avant d’entrer dans le bâtiment, il fallait passer par le processus de décontamination… Les deux médecins rejoignent immédiatement leurs collègues. La journée touche à sa fin, pourtant le SAMU grouille encore de monde qui n’arrête pas de s’activer.

Le 190, la mauvaise plaisanterie et le manque d’information
« Hier, une personne a mis trente minutes pour pouvoir nous joindre pour nous informer que son ami a fait un arrêt cardiaque. Quand elle a réussi à nous joindre, il était trop tard ! » témoigne Mohamed, qui vient de finir son internat et qui, en attendant de passer le concours de résidanat travaille dans un centre d’appels et s’est porté volontaire pour répondre aux appels téléphoniques au SAMU. Il regrette cette mort due à un encombrement souvent injustifié. Mohamed, Hanen, Myriam, tous les trois bénévoles, soulignent le même fait « Nous recevons énormément de coups de fils émis par des enfants qui jouent, par des plaisantins qui nous sortent des « Je cherche l’âme sœur, je veux faire connaissance, j’ai de la fièvre à mon gros orteil… ». Beaucoup de gens les appellent aussi en paniquant pour une bronchite et d’autres pour demander si leurs rendez-vous médicaux avec les hôpitaux sont maintenus. Mais il y a aussi ceux qui appellent le 190 pour « venir imposer la quarantaine à une personne qui ne la respectait pas », pire encore quand il faut « rattraper une personne devant être en confinement préventif et qui se balade dans la rue ». Il y a même ceux qui ont appelé pour se plaindre des coupures d’eau…
En ces temps où le Covid-19 court, les regards sont braqués sur le SAMU. On le blâme pour les tests non effectués alors qu’il obéit aux critères de la commission, on le bombarde de coups de fils car on a peur ou on s’ennuie. Mais peut-être devrons-nous surtout être conscients du travail qu’il accomplit dans une période où chacun est censé être terré chez soi et où les médecins du SAMU parcourent les rues et des bénévoles passent de longues heures à répondre au téléphone…

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