Par Aïssa Baccouche
Quand nous résidions à la Maison de Tunisie à Paris au cours des années soixante jusques et y compris Mai 68 nous rejoignons tous les soirs la salle commune au sous-sol et nous nous asseyons devant la petite lucarne pour regarder le journal de 20 heures. Juste avant, l’on nous passait en interlude un spot intitulé « chefs d’œuvre en péril ». Il s’agissait d’une campagne pour la restauration des monuments et châteaux de France.
Je présume que le château de Villers-Cotterêts datant du XVIème siècle en était un. Aujourd’hui, ce chef d’œuvre reprend vie*. Où l’a sciemment choisi pour abriter la cité internationale de la langue française. Le président Macron, lui-même, s’y est rendu le 30 octobre dernier pour célébrer l’évènement.
Mais si l’on a réussi à restaurer l’œuvre architecturale de François 1er (1494-1547) qui régna de 1515 à 1547 pourra-t-on en dire autant de son « oukase » linguistique c’est-à-dire l’ordonnance de 1539 rendant obligatoirement l’usage du français aux lieu et place du latin.
Car à y regarder ou plutôt à écouter ce qui se trame autour de cette langue parlée par près de 300 millions d’âmes l’on enterrerait, si j’ose dire, une fois pour toutes, son français. Jeune Afrique se demande dans sa livraison du mois de Novembre, pourquoi la France a perdu le Maghreb. « Une désaffection pour l’usage et l’apprentissage de la langue de Molière » y note Olivier Morbat.
Frida Dahmani renchérit, à propos de la place, aujourd’hui, du français en Tunisie : « lingua non Grata »
Les locuteurs francophones en Afrique filent, en ces temps-ci, du mauvais coton.
Dans son livre autobiographique « les mots » Jean-Paul Sartre (1905-1980) avait bien écrit dans un autre contexte, il est vrai, que « la culture ne sauve rien ni personne ». Serait – ce le cas aussi de la langue française ?
Dans un long article sur le rejet anti-français des Africains Cyril Bensimon et Christophe Chatelet écrivent dans le Monde daté du 2 Novembre 2023 : « Comme un symbole, ce n’est pas en français mais dans un anglais hésitant qu’Ali Bongo lance le 30 août un appel à l’aide aux amis du Gabon pour le sauver du coup d’Etat ». Pardi !, comment on est en arrivé là ?
Serait-ce parce que la langue de Voltaire (1694-1778), s’éloigne malencontreusement des canons tant, clamés par un acteur éminent de la francophonie, Boutros Ghali (1922-2016). L’ancien secrétaire général de l’OIF de 1997 à 2002 écrit dans un livre testament « En attendant la prochaine lune » paru en 2004 chez Fayard : « le français est une langue de coopération pour une meilleure insertion dans la mondialisation, une langue de médiation pour aider à dénouer les crises et conflits, une langue de dialogue au service des libertés, une langue de la promotion de la diversité culturelle, une langue d’ouverture… ».
* Le coût de ce ravalement est monté à 200 millions d’euros. Ce chantier est le deuxième plus important après celui de Notre-Dame de Paris