Que la démocratie dans notre pays soit en crise, je suis loin d’en disconvenir, j’en fais l’objet de mes chroniques depuis longtemps. Mais c’est en nommant les causes intrinsèques et extrinsèques de cette crise qu’on se donnera une chance de la régler. Il faut tout d’abord que tout responsable politique, au pouvoir ou à l’opposition, se reconnaisse pleinement dans les piliers fondamentaux de cette jeune démocratie à la fois pionnière et seule rescapée de la vague destructrice du «Printemps arabe». La raison nous invite, en ce moment, à plonger dans notre humaine histoire pour oser cet exercice de redressement, s’abandonner à la confiance, quitter nos velléités idéologiques tout en restant vigilants, pour que l’égoïsme, l’extrémisme, l’arrogance, le repli ne viennent pas tuer l’espoir dans son incroyable fécondité. Comment ne pas entretenir cet espoir-là ? Car il existe assurément un génie tunisien. Celui d’avoir prolongé et enraciné l’essence suprême de ce que revendiquaient nos élites à travers la longue histoire de notre pays. C’est dans cette nation trois fois millénaire qu’on a vu naître le régime politique de la cité à l’époque punique «la Constitution de Carthage», évoquée par Aristote dans son ouvrage «La politique», et la première déclaration des droits de l’homme en 1857, concrétisée par ce qu’on a appelé le «Pacte fondamental». Cette terre a connu aussi, dès 1861, la première constitution arabe et musulmane au sens moderne du terme. Et ce n’est pas un hasard qu’a été scellée dans nos rues, depuis l’Indépendance, la revendication démocratique. Il faut reconnaître que les Tunisiens en janvier 2011, sont sortis dans la rue après une «goutte d’eau de trop». Le soulèvement populaire contre l’ancien régime a été préparé par plusieurs moments déjà brutaux. Les mouvements de contestation estudiantine des années soixante, les émeutes du 18 janvier 1978, la «révolution du pain» en 1984 et les empoignades autour du bassin minier en 1999. C’est en fait un continuum profond entre les périodes d’illumination dans notre histoire et la capacité de notre peuple à reprendre l’initiative en occupant sa place dans le cours de la civilisation universelle, plein de confiance en ses capacités. L’histoire ne se répète pas, mais elle se pense et les sociétés humaines conjuguent la mémoire du passé et du présent et l’anticipation du futur. Le message des Tunisiens aujourd’hui s’inscrit dans la volonté populaire de mettre à profit nos acquis et de renforcer notre capital confiance en nos capacités à vivre en démocratie, et notre attachement effectif aux droits de l’homme. Il s’agit d’une volonté indéfectible que rien ne peut scinder, une conviction que rien ne viendra perturber et il n’est pas question qu’on vienne l’embrigader dans des jeux de caprice, d’instrumentalisation idéologique et religieuse ou d’intérêts personnels. Nous sommes en droit de s’attendre à une nouvelle donne pour notre démocratie. Après tout, au milieu de tous ces réveils qui ne sont pas parvenus à dissiper définitivement le profond de la nuit, subsistent encore de beaux rêves. Le chemin est étroit mais le défi mérite d’être lancé. Pour renouer avec la raison, nous devons casser la dynamique de l’hésitation, en donnant confiance à ces jeunes qui réclament, avec une extraordinaire constance, l’accélération du processus démocratique. Il y a, dans leur militantisme, une telle volonté, une telle sincérité et une telle générosité qu’on doit les écouter attentivement comme des « prédicateurs » et « missionnaires » d’une nouvelle aurore . L’hésitation et l’enlisement ne peuvent être désarmés par la seule logique de patience, ils ne seront vaincus que par deux passions plus puissantes et plus élevées : la persévérance et la diligence.