Une nouvelle page, si…

Avec l’installation du nouveau parlement post-25 juillet 2021, deux processus nationaux d’envergure avancent simultanément et inexorablement, l’un, politique, l’autre, judiciaire, au-dessus d’une vague d’oppositions et de mécontentements qui s’est amplifiée avec les récentes arrestations de dirigeants d’Ennahdha et de certains de leurs alliés démocrates. Ainsi, au moment où se tenait la première séance plénière, qui a duré toute la journée du 13 mars, consacrée à l’élection du nouveau président de l’ARP et aux membres de la commission du règlement intérieur du nouveau parlement, cinq mandats de dépôt étaient émis par la chambre d’accusation près le tribunal de première instance de Kasserine contre des individus présumés impliqués dans le complot contre la sûreté de l’Etat, dont le fils de Rached Ghannouchi, Mouadh en fuite. 
Au fur et à mesure que l’instruction progresse dans cette affaire, et dans d’autres d’ailleurs tout aussi graves (terrorisme, envoi des jeunes dans les foyers de tension, blanchiment d’argent), la liste des arrestations s’allonge touchant essentiellement l’avant-garde du parti de Rached Ghannouchi, dont son fils, et leurs proches alliés, qui partagent avec eux la responsabilité de la mauvaise gestion politique et économique de la décennie 2011-2021 et des dégâts causés à la Tunisie et aux Tunisiens. 
La répression ne compte pas s’arrêter à ce niveau, mais atteindre aussi bien les « antis », qui tentent d’influer sur l’opinion avec des rumeurs et des incitations à la révolte ou de perturber le travail de la justice en diffusant de fausses informations, que les pro-Kaïs Saïed et les pro-25 juillet, qui ont la malencontreuse idée de commettre des infractions, comme ce député sous mandat de recherche, pour avoir falsifié ses parrainages, sorti manu militari de l’hémicycle du Parlement ce 13 mars. Les spéculateurs, également, qui contrôlent l’approvisionnement du marché et les prix, sont dans le collimateur du président. Celui-ci est déterminé, il l’a dit et redit maintes fois, à ne pas reculer dans la guerre qu’il a lancée contre la corruption, contre ceux qui cherchent à affamer les Tunisiens et ceux qui menacent de déstabiliser la Tunisie soit en complotant (avec l’étranger) contre le pays, soit contre lui. 
Aux dernières nouvelles, des opposants auraient tenté de soudoyer un député fraîchement élu pour pousser ses collègues élus à voter le retrait de confiance au président de la République, en vue de l’écarter du pouvoir et de lancer des élections présidentielles anticipées, sans lui. Devant les caméras, il ne cache pas son agacement et sa colère, mais il ne lâche rien non plus. D’où la question de savoir si le décret 117, grâce auquel Kaïs Saïed s’est octroyé de larges pouvoirs et légifère avec des décrets, deviendra obsolète, ce qui est en mesure de donner de l’envergure à la nouvelle ARP, qui souffre d’un déficit de légalité (élue avec 11% de taux de participation), et de détendre l’atmosphère générale que d’aucuns trouvent suffocante… après une douzaine d’années de liberté de parole, une liberté sans limites jusqu’au délire, jusqu’à la cacophonie, jusqu’à l’anarchie et jusqu’au rejet final par une population saturée jusqu’au dégoût de slogans creux, de mensonges électoraux, de querelles partisanes, de règlements de comptes entre adversaires politiques sur les plateaux télé et radios. Les médias se sont pris au jeu, relayant sans discontinuer ce que la majorité des Tunisiens ne supporte plus de voir et d’entendre. Le résultat, on l’a vu ce 13 mars 2023 : les médias privés n’ont pas été autorisés à entrer dans l’enceinte du Parlement pour couvrir la première séance plénière du nouveau Parlement. C’est inédit, impensable, inacceptable. Mais, il faudra se poser les bonnes questions pour comprendre le pourquoi, même si ce n’est qu’un groupe de députés qui a décidé cela.  Ces députés fraîchement élus, nouvellement venus de leurs régions et quartiers, portent encore le poids des doléances de leurs habitants et l’ambiance électrique qui y prévaut. Pour nombre de ces compatriotes, les médias sont en partie responsables de l’état de dégradation atteint par la scène politique, par l’économie nationale et par les conditions de vie des Tunisiens, responsables de n’avoir pas joué leur rôle de contre-pouvoir quand les islamistes étaient aux commandes du pays. Qui d’entre nous peut nier, sans se tromper, que la réputation des médias nationaux est aujourd’hui calamiteuse ? Une décennie, cela marque, cela crée des habitudes, des réflexes et des repères. Il est difficile d’effacer tout cela et de recommencer à zéro, surtout quand on n’a pas vu le changement venir et le vent tourner. Rached Ghannouchi est tombé trop vite. Beaucoup ont du mal encore à y croire.  Quand ils ont pris le pouvoir en 2011, les dirigeants d’Ennahdha étaient assurés de gouverner au moins pendant 40 ans. Aujourd’hui, leurs alliés sont égarés, aux abois.
La Tunisie entame une nouvelle page peu florissante de son histoire sur le double plan politique et économique. Tout est à faire et tous les Tunisiens sont concernés. La lutte contre la corruption et la reddition des comptes avec le passé et le présent sont, à terme, en mesure de rétablir la confiance des Tunisiens et des investisseurs étrangers en les institutions de l’Etat, de réhabiliter l’engagement au travail et de réinstaurer le sentiment de l’espoir. Ce, si les menaces internes et externes de déstabilisation qui pèsent sur le pays n’arrivent pas à leurs fins. Dans le contexte actuel de guerre quasi mondiale et de reconfiguration des influences géopolitiques régionales, la Tunisie n’est pas à l’abri des pressions extérieures de toutes sortes, surtout quand l’intérieur est miné par les divisions. Cette nouvelle page qui s’ouvre en Tunisie doit être un nouveau départ vers de meilleurs horizons et une rampe de lancement pour l’économie et la diplomatie nationales. Pour cela, il faut impérativement rompre avec les divisions internes, favoriser le dialogue national, consolider la stabilité du pays et renforcer la présence de la Tunisie dans son environnement régional et mondial.

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