Près du tiers des électeurs se sont déplacés dimanche 6 octobre vers les bureaux de vote en Tunisie et à l’étranger pour élire le président des cinq prochaines années. Une performance après le taux d’abstention historique aux dernières élections législatives de 2022 (89%) et après trois années difficiles succédant au coup de force du 25 juillet 2021 marquées par les pénuries successives, la crise financière aiguë et la difficile lutte contre la corruption, le blanchiment d’argent et contre tous ceux qui sont soupçonnés de mettre en péril la sécurité nationale.
Une réélection au premier tour. Une autre performance pour le constitutionnaliste devenu président de la République par deux fois, non pas pour son expérience politique glorieuse, mais pour ses qualités humaines et sa probité que ses partisans lui reconnaissent sans coup férir. L’universitaire devenu homme politique après l’accession à la magistrature suprême a beaucoup perdu de sa popularité au cours de son premier exercice marqué par un blocage des rouages de l’Etat et des grands projets publics.
En trois ans, le processus du 25 juillet s’est doté de trois gouvernements sans réussir à enregistrer de grandes réalisations. La chasse aux corrompus sans distinction de classe sociale, de nom ou de fortune et l’usage sans égard de l’épée de Damoclès qu’est le décret 54 avaient, par ailleurs, grossi les rangs des mécontents et des râleurs. Mais pas suffisamment pour empêcher son second plébiscite à plus de 90%, le premier était en 2019 avec 72%. Sa popularité auprès de ses partisans est restée intacte. Ce n’est pas le cas de ses deux rivaux à la Présidentielle. Ayachi Zammel et Zouhaïer Maghzaoui auraient perdu la partie même dans leurs fiefs, Siliana pour le premier et Kébili pour le second qui semble avoir été pénalisé notamment pour son soutien au coup de force du président en juillet 2021 quand celui-ci s’était emparé des pleins pouvoirs pour, disait-il, rétablir l’ordre. L’écart abyssal entre l’élu et ses deux concurrents réfute toute idée de falsification des élections que certains ont tenté de faire circuler.
Le plébiscite de Kaïs Saïed pour son second mandat est une carte blanche pour poursuivre son programme et pour, faut-il l’espérer, concrétiser son slogan de campagne : « La construction et l’édification ». C’est une autoroute devant le président réélu pour reconstruire l’économie et promouvoir le social. Une gageure au regard des moyens dont il dispose actuellement. La lutte contre la corruption devra être une partie de ce programme mais la mise en confiance des hommes d’affaires, des entrepreneurs et des investisseurs est une condition sine qua non pour la relance économique. A présent qu’il est reconduit au sommet de l’Etat, assuré et rassuré de la confiance de millions de Tunisiens, Kaïs Saïed doit changer de logiciel, de discours et devra s’adresser désormais aux Tunisiens qui ont besoin d’améliorer leur pouvoir d’achat, de travailler, d’aller à l’école, de se soigner, de se former, de produire, de créer, d’innover, qui ont aussi besoin d’ouverture, de liberté, de confiance en leurs dirigeants et en les institutions et de raisons pour ne pas fuir leur pays. Le mal-être des jeunes qui n’ont plus d’autres rêves que de partir vers d’autres contrées même moins clémentes pour fuir l’oppression, la répression, le manque de perspectives et d’horizons. Ces jeunes ont boudé les urnes (6% des voix) et Kaïs Saïed, eux qui l’ont fortement soutenu en 2019. Ce mal-être des jeunes est un mauvais signe annonciateur de lendemains compromettants pour la Tunisie qui laisse partir ses médecins, ses ingénieurs, ses universitaires, ses étudiants, ses enfants. Qui soignera demain ? Qui enseignera demain ? Qui protègera la Tunisie et ses frontières demain ? Qui ? Qui ? Et encore qui ? Beaucoup d’interrogations qui attendent des réponses. C’est là une urgence sur laquelle le président réélu est appelé à se pencher aussi vite que sur les urgences économiques. Il s’agit de sauver les jeunes du désespoir, de la drogue, de la déperdition, de l’abandon scolaire, et de leur donner l’espoir qui les laisse s’épanouir auprès des leurs, dans leur pays.
Kaïs Saïed est réélu dès le premier tour. C’est une nouvelle page qui doit être ouverte maintenant avec les forces vives de la nation, avec une nouvelle classe politique plus engagée dans les problèmes internes du pays et ceux de leurs compatriotes, avec une UGTT moins engluée dans les calculs politiciens, avec des médias plus indépendants des partis politiques et plus proches des citoyens de l’intérieur et de l’étranger et une société civile moins regardante par-delà les frontières nationales. Pour ce faire, la volonté de changement doit être exprimée de part et d’autre et sa concrétisation la plus rapide possible, car beaucoup de temps a été perdu et les Tunisiens ne croient plus en l’utilité des partis politiques ni en l’objectivité des médias.
La décennie post-révolution a été chaotique pas seulement sur les plans sécuritaire et économique, même la vie politique a été rabaissée au ras des caniveaux. Tout ce qui aurait pu contribuer à la construction d’une démocratie tunisienne viable et durable a été biaisé par l’opportunisme et les calculs étroits. Mais rien n’est encore perdu pour peu que les politiques mettent en berne leur égo et endossent le vrai costume du militant. Il va de soi que les politiques visent le pouvoir, mais arrivera bien celui qui saura prendre le temps de bien s’y préparer.
Des voix s’élèvent encore par-delà la mer méditerranéenne pour semer le trouble et le doute en Tunisie. Ces Tunisiens qui n’ont pas encore fait le deuil de leur échec quand ils étaient au pouvoir, gagneraient à se préparer dès maintenant et dans le calme et la sérénité aux prochaines échéances électorales municipales, législatives et présidentielle en 2029, parce qu’ils ont besoin d’effacer leur ardoise pour se faire pardonner par leurs concitoyens avant de solliciter leurs voix la prochaine fois.