C’est une petite révolution qui s’est passée dans le petit monde des spécialistes du financement du développement durant la semaine du 13 au 17 juillet 2015 lors du sommet sur le financement du développement qui s’est déroulé à Addis-Abeba en Ethiopie. Une révolution qui est passée inaperçue pour au moins deux raisons. La première est que ce sommet s’est déroulé à un moment où le monde retenait son souffle face au risque que faisait régner le défaut de paiement de la Grèce sur l’économie globale. La question grecque concentrait l’attention des experts, des journalistes et du monde de la finance. La seconde raison est que le monde de la finance a déserté depuis plusieurs années les arènes des Nations-Unis, sous l’auspice desquelles s’est déroulé ce Sommet, et les institutions multilatérales critiquées par beaucoup pour leur inefficacité.
Et, pourtant un développement majeur s’est produit dans les réunions ouvertes et lors des négociations à huis clos dans les salles fermées entre les délégués des différents pays. Ce sommet d’une grande importance avec la présence des grands argentiers du monde, dont les présidents des grandes multilatérales et des ministres des finances des grands pays développés à commencer par le Secrétaire américain au trésor, a ouvert une nouvelle ère dans la réflexion et les politiques de financement du développement. Ce sommet est le troisième du genre et vient après ceux de Monterrey en 2002 et de Doha en 2008. Cet événement a marqué un changement majeur d’optique et a levé quelques tabous.
D’abord pour le changement d’optique, rappelons que les grandes lignes de la problématique du financement du développement ont été tracées dès le milieu des années 1950 avec les travaux des grands économistes de l’époque qui considéraient que nos pays connaissaient un déficit structurel entre l’épargne et les investissements nécessaires pour impulser une dynamique de développement forte et capable de rejoindre les pays développés. Pour faire face à ce gap, il fallait recourir au financement international, recommandaient alors nos spécialistes du financement. Et, depuis cette date tous les efforts ont été effectués pour mobiliser les ressources extérieures avec notamment la création des banques multilatérales dont le rôle est de drainer l’excédent d’épargne internationale vers les pays en développement. Ce schéma a bien évidemment connu quelques difficultés avec les différentes crises de la dette dans les années 1980 et 1990 et jusqu’à aujourd’hui avec la crise de paiement. Mais, en dépit de ces difficultés ce paradigme de financement du développement a tenu et les deux premiers sommets l’ont réaffirmé en allant jusqu’à demander aux pays riches de consacrer 0,7% de leurs PIB à l’aide pour le développement.
Or, le sommet d’Addis-Abeba va opérer un changement majeur dans cette problématique. En effet, si le recours à l’extérieur pour le financement n’est pas remis en cause, il faut noter l’accent mis sur les ressources internes. Ainsi, ce sont les recettes fiscales qui doivent être mobilisées de manière plus efficace, souligne la déclaration finale qui a eu avec quelques difficultés pour avoir l’assentiment des participants. Chiffres à l’appui les différentes études ont montré la faiblesse de la part des recettes fiscales dans les pays en développement avec des taux de 15% dans le PIB en Afrique, de 18 en Asie et de 28% dans le monde et de 34% dans les pays de l’OCDE. Et, le FMI estime qu’une simple amélioration de l’efficacité des administrations fiscales dans les pays en développement peut apporter près de 4 points de PIB de recettes supplémentaires. Un appel a été lancé pour améliorer la collecte de l’impôt et éviter les pièges de l’évasion fiscale. Par ailleurs, les participants ont appelé à favoriser l’équité fiscale et la transparence fiscale par le biais de réformes fiscales majeures dans les pays en développement.
La mobilisation des ressources internes ne doit pas se limiter aux recettes fiscales mais exige également le renforcement des systèmes bancaires locaux afin qu’ils contribuent au financement des investissements. Comme en Tunisie, les banques dans les pays en développement connaissent de grandes difficultés et exigent d’importants efforts de restructuration afin qu’ils jouent leurs rôle pleinement dans le financement du développement.
Parallèlement à ce changement d’optique dans le financement et à cette quête d’un nouvel équilibre entre financement interne et financement externe notamment par le biais d’un recours aux marchés financiers internationaux, ce Sommet a contribué à lever quelques tabous dans le débat sur le financement. Le premier d’entre eux est ce que les spécialistes nomment pudiquement les « prix du transfert », comprenez les systèmes comptables qui permettent aux grandes firmes multinationales de faire ressortir les profits là où la fiscalité est faible. La déclaration finale parle clairement de ces pratiques et exige que les impôts soient payés là où la valeur ajoutée a été créée. D’autres tabous ont été évoqués clairement par la déclaration finale dont les flux illicites en provenance des pays en développement où les négociations sur les ressources naturelles qui continuent à être payées à des prix en dessous de leurs valeurs dans les pays les moins avancés où les capacités de négociations sont faibles.
Le sommet d’Addis-Abeba sur le financement du développement a ouvert une nouvelle ère dans le financement du développement et dans la construction d’un nouveau consensus. Certes, il s’agit d’une déclaration de principe et sans obligation pour les pays. Par ailleurs, beaucoup d’ONG ont critiqué son contenu en estimant qu’il fallait aller plus loin. Mais, il est évident que la petite révolution que ce sommet a initié va rentrer dans progressivement dans les mœurs et surtout dans les politiques de financement du développement comme l’a été la déclaration du millénaire sur les objectifs du développement qui est devenue la référence en la matière. Une révolution que notre pays a également entamée avec le mouvement de réformes avec notamment la réforme fiscale et la réforme du secteur bancaire et une plus grande ouverture sur les marchés financiers internationaux. Un mouvement que nous devons poursuivre avec détermination afin de mobiliser les ressources nécessaires à une relance de la croissance et à la transition économique.