Une révolution, des révolutions !

Par Hakim Ben Hammouda

Lors de son passage à Tunis pour présenter son dernier livre « Passion arabe » à l’invitation de la Fondation Averroès et de l’Institut français, Gilles Kepel a mentionné que la dénomination Printemps arabe était impropre pour qualifier les révolutions arabes qui pour la plupart ont eu lieu en plein hiver. Mais, ce terme a été repris en référence aux printemps des peuples qui ont eu lieu en 1848 et qui ont vu les peuples européens se dresser contre la tyrannie des monarchies européennes pour exiger des réformes et une plus grande libéralisation des systèmes politiques. Certes, ce printemps des peuples a été réprimé dans le sang et toute l’Europe a connu une importante restauration autoritaire. Mais, l’utopie de la liberté développée par cet élan révolutionnaire ne cessera de nourrir l’imaginaire politique européen jusqu’à l’avènement de la Révolution française qui fera de la liberté et de la démocratie les fondements de la nouvelle modernité politique. Et depuis, ce terme sera utilisé pour désigner les révoltes des peuples et leur aspiration à la liberté quelles que soient les saisons. 

De ce point de vue, le terme Printemps arabe est pertinent dans la mesure où il évoque cet élan extraordinaire de la part des peuples arabes pour exiger la fin de l’autoritarisme et de la tyrannie et leur droit à la liberté et à la démocratie. En ce sens, la grande mobilisation entamée avec l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid et qui s’est étendue comme une tâche d’huile à un grand nombre de pays arabes se rapproche des printemps des peules dans la mesure où elle a uni des couches sociales parfois opposées, des générations différentes dans un large mouvement qui a fini par déstabiliser les derniers tyrans de la planète. 

Néanmoins, l’usage de ce terme est problématique car il est loin de qualifier la nature du processus en cours dans les pays arabes. S’agit-il de vraies révolutions ou de simples coups d’État manigancés de l’extérieur comme semble l’indiquer une « théorie du complot » qui a encore de bons jours dans un monde arabe où l’impuissance individuelle et collective nous laisse penser que les changements ne peuvent s’opérer sous nos cieux que de l’extérieur. Sommes en présence de vrais changements révolutionnaires qui vont nous permettre de rompre avec l’autoritarisme ou de simples ajustements de pouvoirs qui maintiendront le cœur de l’ordre social arabe ? 

La question de la nature des changements en cours a fait l’objet d’importants débats et continue à nourrir la réflexion. Pour certains, il s’agit de changements révolutionnaires et de ruptures profondes dans l’ordre politique arabe qui ont mis fin à l’autoritarisme et ouvert la porte à la démocratie. D’autres mettent l’accent sur l’incapacité des pouvoirs post-révolutionnaires à définir et à mettre en place de nouveaux projets de sociétés.

Le terme Printemps arabe, s’il met l’accent sur l’unité des mobilisations en cours dans le rejet de l’autoritarisme, reste peu éloquent quant à la diversité des processus en cours dans les différents pays. A ce niveau, on peut en mentionner au moins trois dynamiques. D’abord, celles des pays qui ont connu une dynamique révolutionnaire comme en Tunisie, en Egypte et Libye et où les dictateurs sont tombés ouvrant la porte à un processus de changement et de transformations qui sont loin d’avoir donné leurs résultats. Dans ces pays, les principales figures du pouvoir en place ainsi que ses institutions y compris les partis au pouvoir ont été ébranlés par la dynamique révolutionnaire. Ainsi, les partis au pouvoir ont été interdits, les institutions dissoutes et les figures des pouvoirs déchus emprisonnées ou interdites de l’activité politique. Par ailleurs, de nouvelles institutions de transition ont été mises en place et les élections ont amené de nouvelles majorités politiques qui sont en charge de la rédaction des nouvelles constitutions. 

Dans d’autres pays comme le Bahreïn et le Yémen, la dynamique révolutionnaire a été rapidement bloquée par une intervention étrangère dans un cas et par l’armée dans l’autre. Du coup, on a assisté à une restauration de l’ordre autoritaire, de ses institutions comme de ses figures de proue. Une restauration dont la dynamique est loin d’être terminée si l’on croit la reprise des mobilisations. La troisième mobilisation en cours est celle de l’embrasement de la violence comme c’est le cas en Syrie où la détermination du régime d’un côté et la volonté d’en finir de certaines forces régionales et internationales ont jeté le pays dans une guerre sans précédent avec des milliers de victimes. 

Certes, le terme de Printemps arabe éprouve les plus grandes difficultés à rendre compte des dynamiques en cours. Mais, comme celui des printemps des peuples, il annonce la fin de la tyrannie et de l’autoritarisme même si, comme dans le cas de l’Europe, la démocratie et la liberté mettront du temps avant de vaincre définitivement en Arabie.   

 

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